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Libération
Chronique «Interzone»

Tomber amoureux, par Paul B. Preciado

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Peu importe que tu sois kurde ou iranienne, je te vois prendre tes cheveux dans tes mains et puis les couper. Qui aurait pu imaginer que les cheveux étaient plus forts que le pouvoir ? Voici la nouvelle internationale trans : la liberté – et non l’identité – est ce qui reste lorsque les voiles sont tombés et que les cheveux ont été sectionnés.
Lors d'une manifestation d'Iraniens vivant à Athènes, le 24 septembre 2022. (Louisa Gouliamaki/AFP)
publié le 7 octobre 2022 à 16h49

Partout, le monde que nous connaissons se divise en deux. Chaque moitié à son tour en deux et ainsi de suite sans repos. La Terre serait comme une cellule qui pourrit ou se diffracte, on ne peut encore le dire. Début et fin se rencontrent et se confondent. L’apocalypse et l’enfance face à face. Le fascisme avance comme un cadavre politique qui s’obstinerait à faire ses derniers pas avant de tomber. Parfois, le mort prend la forme d’un homme américain blanc, nu, avec des cornes de bison sur la tête, d’autres fois celle d’une femme politique italienne, ou du spectre du féminisme facho-national-laïque, parfois il parle anglais, parfois russe, toujours le langage abstrait du marché. De chaque côté de la ligne de faille, tout le monde court dans des directions opposées, souvent indiscernables. Il y a des pieds qui tombent dans le gouffre de la septième extinction, capitaliste ou nucléaire. Et des mains qui s’accrochent à l’espoir. D’un côté, l’univers entier se referme sur lui-même : le passé se répète sans fin. Des shareholders (actionnaires) sous l’emprise du crack sortent leurs actions de la boue coloniale, et les lavent, pour la dernière fois, avec de l’essence et du sang. Le bruit d’une fuite de gaz constitue une triste bande-son. En tous lieux, j’attends les voyageurs qui ne viendront pas. Pendant ce temps, ce qui semblait impossible se produit déjà et s’ouvre sur l’inconnu. Des corps apatrides se lèvent et parlent. C’est le cas au Mexique et en Inde, au Chili et en Ouganda