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TRIBUNE

Trop triste, par l’écrivain israélien Etgar Keret

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Guerre au Proche-Orientdossier
Que peut donner une rencontre entre l’écrivain et le chanteur aux chansons les plus tristes du monde, quand il est demandé, depuis le 7 Octobre, de ne pas faire de spectacle trop démoralisant ?
L'écrivain Etgar Keret, chez lui à Tel-Aviv, en novembre 2020. (Emmanuel Dunand/AFP)
par Etgar Keret, Ecrivain
publié le 12 mars 2024 à 11h10

Lorsque je serre la main du chanteur aux chansons les plus tristes du monde, ma paume est moite d’excitation. J’écoute sa musique depuis des années. Toutes ses chansons racontent des histoires qui peuvent vous briser le cœur, avec des mélodies toujours simples et authentiques. Du blues israélien. Et ce soir, j’ai la chance de partager la scène avec lui.

Notre modeste prestation a lieu dans la bibliothèque publique d’une petite ville. La bibliothécaire qui nous a invités est sympathique et serviable, et elle nous dit que toutes les bibliothèques ont reçu ce matin-là une directive expliquant que, puisque nous sommes en temps de guerre, elles doivent veiller à ne pas organiser d’événements trop tristes.

«Comment ça, trop triste ?» s’affole le chanteur aux chansons les plus tristes du monde, qui se sent manifestement un peu menacé. «L’art, c’est la vie, et la vie est une chose triste», explique-t-il. «Vous avez raison, répond la bibliothécaire en se voulant rassurante. Vous avez tout à fait raison. Mais la directive ne dit pas que le spectacle ne doit pas être triste, juste qu’il ne doit pas être trop triste.»

Silence pesant

Notre spectacle se déroule avec un niveau de tristesse raisonnable, jusqu’à ce que je commence à lire une histoire que j’ai écrite dans les premiers jours de la guerre et que je raconte au public les circonstances lugubres qui l’ont inspirée. Le chanteur ajoute sa propre anecdote douloureuse : on lui a demandé de chanter à l’enterrement de l’un des