En ce moment, je vis dans le passé. C’est arrivé un peu comme ça. Après un déménagement, je suis sans connexion internet à domicile. Me voilà de retour au XXe siècle. C’est assez banal. Ce qui l’est moins, c’est qu’en parallèle, je reviens physiquement sur les lieux de mon enfance, car j’ai emménagé à quelques rues de là où j’ai grandi. J’arpente les mêmes trottoirs. J’achète le pain dans la même boulangerie. Je fréquente le même vidéoclub – oui, je me suis inscrite au vidéoclub, le dernier de la ville, paraît-il ; il a changé, bien sûr, mais cela n’a aucune importance, je retrouve les sensations, les souvenirs. La curiosité.
Je vis quelque chose qui n’est pas loin de ce qu’imagine le romancier bulgare Guéorgui Gospodínov (1) – une «clinique à fabriquer du passé», pour les malades dont la mémoire s’efface, et qui s’inspire de protocoles thérapeutiques existants. Mais la fiction a ceci de merveilleux qu’elle ne connaît aucune mesure. Pourquoi s’arrêter à un bâtiment ? s’exalte l’un des personnages. Pourquoi pas une ville ? Pourquoi pas un pays tout entier ? Cette idée – reconstruire les lieux de leur jeunesse pour rendre quelque chose comme un «droit au bonheur» aux patients qui, dans le présent, se sentent tels des exilés permanents – cette idée n’est-elle pas à élargir, afin de donner au plus grand nombre possible, en période tr