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Libération
La chronique d'Emmanuele Coccia

Un nouvel ordre du plaisir

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Chronique «Points de vie»dossier
Le féminisme n’est plus une simple lutte contre la domination. Il faut penser une autre forme de vie que celle qui entrelace nos corps depuis des siècles. Une nouvelle alchimie, capable de distiller la «chair philosophale», celle que tous les genres cherchent dans le corps de l’autre.
«Ce qui nous attend [...] des formules inédites de partage du bonheur de notre chair.» (Tara Moore/Getty Images)
par Emanuele Coccia, Philosophe, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess)
publié le 3 décembre 2022 à 15h44

Ma mère a eu 7 ans en mars 1952. Cette année-là, le 1er novembre pour être précis, la première bombe H a explosé dans l’atoll d’Enewetak dans l’océan Pacifique. A la fin du mois de juin, le plan Marshall prenait fin. En février, Elizabeth II montait sur le trône d’Angleterre. Elle était la seule femme au pouvoir à cette époque, et elle y était arrivée par de simples raisons généalogiques. En 1952, le divorce était toujours interdit en Italie, tout comme l’avortement. Les femmes ne votaient que depuis six ans. Ma mère sera la première femme de sa famille à aller à l’université. Chaque fois que je pense à ce passé proche, j’ai l’impression de lire un roman de science-fiction dystopique.

Ma fille a eu 7 ans il y a quelques mois. Aujourd’hui, une femme dirige le gouvernement ou occupe les plus hauts postes de pouvoir en Estonie, en Islande, en Lituanie, en Italie, en Norvège, en Finlande et au Danemark, au Bangladesh, en Nouvelle-Zélande, à Singapour et en Ethiopie. En Allemagne, une femme a été chancelière pendant seize ans. Une femme est à la tête de la Banque centrale européenne. Elles défendent les opinions politiques les plus différentes, pas forcement en accord avec les présupposés de celles qui leur ont permis de prendre le pouvoir.

Et les différences entre le monde d’aujourd’hui e