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«Interzone»

Une année sans peau

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Chronique «Interzone»dossier
Des jours et des nuits, sous psychotropes, sans contacts, sans voyages, sans manifestations, sans concerts. Mais où demeure encore et toujours le capitalisme patriarcal et raciste.
publié le 9 avril 2021 à 21h54

Cela fait un an que nous avons vu les Wuhanais prendre le métro avec des bouteilles en plastique coupées et placées sur leur tête comme si c’était des scaphandres. Un an depuis que l’idée de fermer une ville nous semble normale. Un an depuis qu’un rayon d’un kilomètre nous semble un espace digne et suffisant pour vivre. Un an que je suis tombé malade. Un an que j’ai perdu la vue d’un œil. J’ai retrouvé la vue, mais la certitude que cela pourrait se reproduire ne m’a pas quitté depuis. Une année de douleurs articulaires et de migraines. Une année entière de fatigue. La fatigue devenant la matière même du temps. Une année à apprendre à vivre avec un étranger qui est moi-même. Une année sans peau. Une année s’est écoulée depuis que j’ai écrit et ensuite jeté une lettre d’amour à la poubelle. Une année sans comprendre absolument rien de ce qui se passe. Une année sans voyager. Une année sans Venise, sans Hongkong, sans New York, sans San Francisco, sans Toronto, sans Mexico, sans Rio de Janeiro, sans La Paz. Une année au cours de laquelle, pour la première fois de ma vie, j’ai souhaité mourir. Une année avec la valise fermée et l’ordinateur perpétuellement ouvert. Une année avec les pieds gelés et la tête en feu. Une année à attendre que les grands-parents soient vaccinés pour qu’on puisse les embrasser. Une année de transphobie. Une année d’insurrection sexuelle et de genre. Une année de violence raciste. Une année d’insurrection antiraciste. Cela fait un an que nous savons que