On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas, lisait-on sur l’affiche d’une ONG au début des années 2000. Non, on ne pourra pas dire ça. Nous savons tout, nous voyons tout. Nous sommes témoins de tous les crimes, de toutes les abjections du monde, nous avons assisté à tous les conflits depuis notre canapé. Nous avons grandi hypnotisés par des bombardements télévisés, nous vieillirons en scrollant des corps inertes sur les écrans de nos téléphones. Nous avons acquis un savoir terrible, ou est-ce une manie mortifère : celle de hiérarchiser les guerres. D’en ignorer certaines et de nous passionner pour d’autres.
Décomplexés, nous passons les victimes en revue : sont-elles crédibles ? Dignes d’être soutenues ? Ou ne sont-elles que des dégâts collatéraux, ceux d’une cause qu’on estime juste ? Les belliqueux de tous bords cajolent les avocats improvisés que nous sommes, ils se pressent pour nous offrir les meilleurs angles de l’histoire, soucieux que nous ne rations rien, car ils le savent : il y a là un marché à saisir, celui, non pas de nos opinions, mais de nos réactions. Procureurs d’un minuscule état de nous-mêmes, nous ignorons la satiété. Rien n’est de trop. Aucun détail morbide ne nous échappe. On s’y fera. On s’y est faits.
Sans doute aurait-on dû oser s’avouer vaincus, interdits, brisés par trop d’images atroces. Sans doute vaudrait-il mieux l’avouer, ces temps-ci, les mots nous manquent, nous ne savons que faire de ce que nous voyons, de ce que nous lisons. Mais au lieu de ç