La France, «pays de Pasteur», aurait pu, aurait dû, figurer parmi les premiers pays à produire un vaccin contre le coronavirus. Naguère en tête des recherches sur les vaccins, elle est désormais dans une position de spectateur ; la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suède ont tous développé un vaccin aujourd’hui approuvé dans de nombreux pays, et dont 240 millions de doses ont déjà été administrées à travers le monde. En France, l’Institut Pasteur a annoncé l’arrêt de ses recherches, Sanofi peine à rester dans la course ; seule une start-up austro-bretonne, Valneva, semble être en mesure de démontrer, dans les prochains mois, l’efficacité de son candidat vaccin. Au passage, notons que malgré la présence de la Banque publique d’investissement (BPI) parmi ses actionnaires de référence, Valneva n’a pu obtenir de soutien suffisant auprès des autorités françaises pour obtenir des précommandes de l’Union européenne ; c’est grâce au Royaume-Uni qu’elle a pu poursuivre ses recherches et, si celles-ci sont concluantes, ce sont les Britanniques qui bénéficieront de 100 millions de doses.
Comment expliquer un tel fiasco ? Même si elle ne porte pas spécifiquement sur les vaccins, une note récente du Conseil d’analyse économique vient de paraître, qui passe en revue plusieurs éléments (1). Tout d’abord, le secteur pharmaceutique est l’un de ceux pour lesquels l’innovation repose le plus sur une articulation étroite entre recherche fondamentale, recherche appliquée, et développement industriel et commercial.
Pour ce qui est de la recherche fondamentale, pour l’essentiel conduite dans des laboratoires académiques, elle est mal financée en France : entre 2011 et 2018, les crédits publics en recherche et développement dans le domaine de la santé ont ainsi baissé de 3,5 à 2,5 milliards d’euros en France, alors que sur la même période, ils augmentaient de 5,4 à 6 milliards en Allemagne. Le salaire moyen d’un chercheur français en début de carrière s’établit à seulement 63 % de la moyenne des pays de l’OCDE. En outre, les essais cliniques financés par les agences publiques françaises ont «des normes scientifiques faibles, notamment car ils sont beaucoup plus souvent non randomisés qu’ils ne le sont dans d’autres pays». Enfin, certaines recherches qui évoquent une «manipulation du vivant» font l’objet en France de vives réticences sociales, qui peuvent conduire à une frilosité des agences de financement comme à une autocensure des équipes de recherches sur de tels sujets «sensibles». Ainsi Emmanuelle Charpentier, lauréate du prix Nobel de chimie pour la technologie révolutionnaire des «ciseaux moléculaires» Crispr-Cas9, estime que ses projets n’auraient jamais été financés en France. Dans sa première phase de recherche fondamentale, le processus d’innovation souffre donc en France : d’un sous-investissement, d’une faible attractivité, et d’un financement aussi peu en ligne avec le standard de plus en plus élevé de preuve d’efficacité que du potentiel des recherches sur le vivant.
Pour qu’elle aille jusqu’à la mise sur le marché d’un médicament, la recherche fondamentale doit ensuite faire l’objet de transferts vers le développement industriel. Ce transfert passe souvent par la création de start-up fondées par des chercheurs universitaires. Entre la déclaration d’invention, la prise en charge par une filière de transfert (Satt ou autre), et la Commission nationale de déontologie, la complexité des démarches est telle que la France «se situe à la 32e position du classement Collaboration université-industrie en recherche et développement de la Banque mondiale en 2016».
Après cette première course d’obstacles, une start-up doit ensuite s’engager dans des recherches longues, coûteuses, et risquées, pour évaluer si la découverte fondamentale peut faire l’objet d’un développement. Ces recherches nécessitent un financement important ; or, si les jeunes pousses trouvent en France un environnement assez favorable à leur démarrage, la phase de croissance, celle qui nécessite de lever des centaines de millions d’euros, souffre d’un déficit d’investisseurs stratégiques, capables de les accompagner dans leur développement de moyen terme.
(1) Margaret Kyle et Anne Perrot, «Innovation pharmaceutique : Comment combler le retard français ?» Conseil d’analyse économique https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note62v2.pdf