Menu
Libération
Entretien

Sylvie Laurent : «La race n’est pas un dommage collatéral du capitalisme, elle lui est consubstantielle»

Article réservé aux abonnés
L’historienne des Etats-Unis explique comment le capitalisme repose sur l’exploitation d’une partie de l’humanité, jugée de moindre valeur. Un sujet qui, malgré l’abolition de l’esclavage, la décolonisation et la lutte pour les droits civiques, reste central à l’approche des élections américaines.
La critique [de Marx] du colonialisme est redoutable, mais il le décrit comme un simple moment inaugural d’accumulation primitive du capital. (Jeanne Macaigne/Liberation)
publié le 27 avril 2024 à 8h10

Quand le capitalisme a-t-il commencé, et sur quelles bases ? Souvent posée depuis Marx, la question est importante. Elle permet de comprendre la façon dont ce système économique organise nos vies individuelles et collectives. Mais aussi de distinguer ce qui est indispensable à son fonctionnement et ce qui s’avère plus accessoire. Dans la première catégorie, il y a la création d’inégalités entre humains dominants et dominés, à l’aide de mots comme «race». C’est à ce terme que s’intéresse l’américaniste Sylvie Laurent dans Capital et Race (Seuil).

De la conquête occidentale de l’Amérique aux Etats-Unis d’aujourd’hui, elle montre que ce terme n’est évidemment pas un fait biologique mais une création historique intimement liée à l’histoire du capitalisme. Faire des indigènes, des noirs ou des juifs des humains à part (et parfois, même des biens ou des outils) dans une longue tradition intellectuelle où l’on croise Daniel Defoe et son Robinson, Voltaire ou Adam Smith, c’est fournir à l’accumulation de richesses et à la prédation de la nature une force de travail inépuisable. Le capitalisme serait donc, selon elle, intrinsèquement «racial».

Peut-on conclure de votre analyse qu’on ne peut pas être anticapitaliste si on n’est pas antiraciste ?

C’est en tout cas une certitude partagée par des penseurs comme Malcolm X, Martin Luther King... ou Marx lui-même ! En regardant l’Amérique, ce dernier l’a exprimé clairement : «Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là