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Libération
L'édito de Dov Alfon

Transparence : comment (et pourquoi) obtenir la fiche de paie d’Emmanuel Macron

Notes de frais des élus, comptes d’écoles sous contrat, liste de réverbères… Inscrit dans la loi, l’accès aux documents administratifs, pourtant essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, reste semé d’embûches.
Dans les archives municipales de Montreuil. (Olivier Culmann/TF. Grande commande photo)
publié le 16 mai 2024 à 20h56

Pour comprendre pourquoi Libé peut publier aujourd’hui le bulletin de salaire du président de la République, il suffit de revenir à la Révolution. Après avoir expliqué que tous les citoyens «ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la ­contribution publique» dans son article 14, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en tire immédiatement la conclusion dans l’article suivant, limpide et sans appel : «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration». Las, il a fallu attendre presque deux siècles pour que ce vœu pieux soit mis sur les rails législatifs : la loi française n° 78-753 du 17 juillet 1978, dite loi Cada, permet – du moins en théorie – d’avoir accès à tout document, produit ou reçu par l’Etat, les collectivités locales, les associations et les entreprises privées dans le cadre d’une mission de service public.

Une mine d’information, mais bien peu utilisée, et pour cause : l’administration traîne des pieds. Alors que dans la plupart des pays européens, transparence des services publics et concurrence entre les entreprises privées sont considérées comme faisant partie des fondations de la démocratie, elles sont trop souvent entravées en France. Plus la désinformation avance, des fake news spontanées aux opérations d’ingérence étrangère élaborées, et plus le gouvernement bloque l’accès à l’information. D’après les chiffres de la Commission d’accès aux documents administratifs, plus de 10 000 demandes ont dû faire l’objet de son arbitrage en 2023, et 40 % des demandes refusées auraient dû être accordées avant même son intervention. Pire, dans plus de huit cas sur dix, l’administration ne répond pas dans le mois imparti par la loi, pas même par un accusé de réception.

D’où l’arrivée de preux chevaliers au service de la transparence, certains organisés en associations, beaucoup agissant en loups solitaires de la vérité, d’autres enfin allant jusqu’à fonder une plateforme en ligne d’une efficacité redoutable pour encourager le public à demander des comptes à l’administration. Par exemple, ­Xavier Berne, cofondateur de Ma Dada, qui fait trembler les grands. Son comparse Laurent Savaëte nous le rappelle : «Si la loi était appliquée, une plateforme comme Ma Dada n’existerait pas.» De là à demander le bulletin de salaire du Président, il y a bien plus qu’un pas, fait allégrement en 2020 par la chercheuse Lucie Sponchiado, qui avait saisi le juge administratif pour le principe du devoir de transparence. Emmanuel Macron lui avait finalement envoyé sa réponse de l’Elysée par deux motards en gants blancs, mais beaucoup des citoyens obstinés que nous avons rencontrés n’en demandent pas ­autant.