En mars 2024, l’Opéra national de Paris a rendu publique sa saison 2024/2025. Cette nouvelle saison ne comporte aucune metteuse en scène, aucune compositrice, ni aucune librettiste. A l’affiche de la saison 2024/2025, sur 19 productions d’opéra et 15 ballets incluant créations et reprises : 17 metteurs en scène, 0 metteuse en scène, 17 chefs d’orchestre/4 cheffes d’orchestre, 19 compositeurs/0 compositrice, 26 librettistes hommes/0 librettiste femme, 14 ballets chorégraphiés par des hommes/un seul par une femme. La somme de ces chiffres est sans appel : seules 5 femmes figurent parmi les 98 noms relatifs à ces 34 spectacles.
Comme le souligne l’association H/F Ile-de-France, cette décision de l’Opéra de Paris perpétue l’absence des femmes dans les répertoires : elle constitue un obstacle à la pérennisation de leurs œuvres et au développement d’un véritable matrimoine opératique. Un tel geste revêt un sens politique désastreux. Faut-il soupçonner l’Opéra de Paris de ne pas être au fait des questions d’égalité ? Non.
Le silence des médias
Lors du lancement de la saison 2022/2023, son directeur, Alexander Neef, avait choisi de faire de la présence à l’affiche de metteuses en scène et de cheffes d’orchestre l’un des axes majeurs de sa communication, déclarant notamment à l’Agence France-Presse : «C’est un enjeu essentiel pour l’Opéra de Paris. […] Il est important de promouvoir et faire rayonner les talents, dont les femmes. Leur regard, leur exigence nous promettent des spectacles exceptionnels.» Deux ans plus tard, que s’est-il passé ? Où sont ces «talents», ces «regards», cette «exigence» ?
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En tant qu’institution publique, l’Opéra national de Paris bénéficie de l’une des plus importantes subventions du secteur culturel. Au sortir du confinement, il a reçu du ministère de la Culture une aide exceptionnelle de 81 millions d’euros qui représentait à elle seule 40 % de l’enveloppe dévolue à l’ensemble du spectacle subventionné. Il doit s’acquitter en retour d’une mission d’intérêt général en présentant une programmation représentative de la société dans sa diversité. Dans le même temps, l’Opéra de Lyon – pour ne citer que lui – présentait une saison paritaire : comment expliquer que l’Opéra de Paris fasse moins d’efforts en comparaison d’autres théâtres bien moins dotés ?
Cet effacement des femmes est rendu plus violent encore par le silence des médias : lors de la publication de cette nouvelle saison de l’Opéra de Paris, la majeure partie de la presse généraliste et spécialisée a repris le communiqué de l’institution pour vanter sa progression financière mais aucun – à l’exception de Sceneweb et de BFM TV – n’a relevé l’effacement des femmes dans la programmation. Un tel silence laisse l’institution écrire l’histoire à son avantage sans lui porter la moindre contradiction.
Une telle volte-face est un cas d’école
Le mouvement #MeToo – sous l’impulsion de témoignages comme celui de Judith Godrèche – est entré dans une nouvelle séquence qui met à jour des formes de domination autrefois étouffées. Il est éloquent que l’exclusion des femmes d’une programmation ne soit pas perçue comme un autre type de violence. Le milieu culturel a entrepris un long travail de fond sur ces questions, mais ce travail ne peut qu’être mis en échec s’il se heurte à des directions qui continuent d’effacer les créatrices.
Au-delà du cas particulier de l’Opéra de Paris, qu’une institution soit capable d’une telle volte-face – promouvoir puis effacer les créatrices à deux ans d’écart – est un cas d’école qui tend à prouver qu’en matière de parité, l’autorégulation ne fonctionne pas. La parité est trop importante pour être laissée à la bonne volonté ou au bon vouloir de quelques directeurs décisionnaires. L’égalité est un projet de société, non une variable d’ajustement dans la communication d’une institution. S’il s’agit de la grande cause du quinquennat, comme l’a affirmé à plusieurs reprises le président de la République, elle ne peut reposer sur des vœux pieux.
Comme le rappelait Reine Prat, haute fonctionnaire et autrice de deux rapports ministériels sur l’égalité femmes/hommes dans la culture, elle doit impliquer des obligations d’objectifs, de moyens et de résultats, mais aussi en faire l’inspection, la vérification, et – le cas échéant – d’appliquer des sanctions. Cette cause nécessite, de la part de la puissance publique, une véritable volonté politique et du courage pour la mettre en œuvre. C’est à cette volonté et à ce courage que nous en appelons aujourd’hui.
Signataires
258 professionnel·les et associations du secteur culturel et artistique parmi lesquel·les notamment : Pauline Bureau autrice, metteuse en scène, Clément Cogitore artiste, metteur en scène, Bintou Dembélé chorégraphe, Claire Dupont directrice du Théâtre de la Bastille, Aurore Evain autrice et metteuse en scène, Tatiana Julien chorégraphe, Marc Lainé directeur de la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche, Aliette de Laleu journaliste, autrice, Maud Le Pladec directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans, Katie Mitchell metteuse en scène, Isabelle Moindrot professeure à l’Université Paris-8, membre de l’Institut universitaire de France, Lucile Peytavin historienne, essayiste, experte en égalité F/H, Reine Prat autrice de deux rapports ministériels pour l’égalité dans les arts du spectacle et de l’ouvrage Exploser le plafond, Hyacinthe Ravet professeure de sociomusicologie, Sorbonne Université, Vanasay Khamphommala dramaturge, autrice, performeuse, Mouvement HF… et l’Association des centres dramatiques nationaux, l’Association des centres chorégraphiques nationaux, l’Association des scènes nationales, l’association Futurs composés. L’intégralité des signataires est ici.