Les choix à venir concernant le nucléaire mériteraient d’être arbitrés par référendum tant ils sont lourds de conséquences. Sont en cause l’autonomie énergétique de la France, sa sécurité et sa capacité à faire face aux défis économiques et scientifiques.
Le président Macron souhaite la construction de nouveaux réacteurs EPR, mais celui de Flamanville (Manche) n’en finit pas de cumuler les retards. Faut-il poursuivre dans cette voie dispendieuse ? Malgré ses déchets dont nous léguons la gestion aux générations et civilisations futures, le nucléaire doit-il intégrer la taxonomie verte européenne ? Surtout, la guerre en Ukraine est le théâtre d’une première dont le monde se serait bien passé, le bombardement de la centrale de Zaporijjia. Le nucléaire militaire suffira-t-il à nous protéger des menaces ciblant notre nucléaire civil ? Le contexte est propice aux débats, bien qu’aucune perspective référendaire n’émerge encore.
Les exemples étrangers montrent pourtant que référendum et nucléaire sont loin d’être incompatibles. En 1978, les Autrichiens ont rejeté la mise en service de la centrale de Zwentendorf. En 2012, les Lituaniens se sont opposés à la construction d’une nouvelle centrale, imités par les Suisses cinq ans plus tard. En 2021, les Taïwanais ont eux évité la construction d’une quatrième centrale, après avoir voté, en 2018, contre une sortie du nucléaire à l’horizon 2025.
De l’opportunité de poser la question
Ailleurs, d’autres référendums ont suivi une catastrophe nucléaire. Un an après l’accident de Three Mile Island survenu en 1979, un référendum a eu lieu en Suède. L’option retenue visait la réalisation du programme nucléaire tout en prévoyant à terme une sortie du nucléaire. Le Riksdag a donc engagé la Suède vers une sortie à l’horizon 2010. De leur côté, après l’accident de Tchernobyl survenu en 1986, les Italiens ont décidé un moratoire de cinq ans. Suite à la catastrophe de Fukushima de 2011, près de 94% d’entre eux ont refusé de construire de nouvelles centrales. Ces expériences livrent plusieurs enseignements.
Premièrement, l’opportunité d’organiser un référendum après un accident nucléaire est difficile à apprécier. Le moment peut être mal choisi, car l’émotion peut jouer un rôle trop important pour permettre d’avoir un avis éclairé. A l’inverse, cela pourrait être le moment idoine, justement parce que c’est dans ce contexte que les citoyens perçoivent le risque nucléaire. D’évidence, mieux vaut ne pas miser sur la réalisation d’une telle catastrophe pour s’autoriser à penser au référendum.
Deuxièmement, la formulation de la question implique d’y consacrer une attention particulière. Les citoyens doivent comprendre les conséquences de leur vote. Leur demander s’ils souhaitent ou non la construction de nouvelles centrales est une alternative claire. Celle d’engager ou non la sortie du nucléaire semble floue, car elle laisse au politique une grande marge de manœuvre pour la concrétiser.
Troisièmement, ces précédents montrent la mesure dont font preuve les citoyens. En 1987, plusieurs questions sur le nucléaire ont été posées aux Italiens. Les résultats ayant oscillé entre 70% et 80%, les citoyens ont mené une réflexion propre à chaque question posée. En 2016, les Suisses ont rejeté une sortie programmée du nucléaire, avant de s’opposer un an plus tard à la construction de nouvelles centrales. Il n’y a donc pas eu de vote de principe, en opposition ou favorable au nucléaire.
Quatrièmement, les résultats d’un jour ne lient pas pour l’éternité. La Suède n’a ainsi pas mis un terme à sa politique nucléaire en 2010, l’opinion publique ayant dans l’intervalle évolué.
Un outil référendaire à manier avec précaution
En France, depuis 1981 et la promesse sans lendemain du futur président Mitterrand, aucun de ses successeurs ne s’est engagé à organiser une telle consultation. En 2005, l’échec de la Constitution pour l’Europe a enterré toute velléité présidentielle à utiliser l’outil référendaire, sur quelque sujet que ce soit.
Selon la Constitution, le projet de loi référendaire doit porter sur l’un des thèmes prévus à l’article 11. Une réforme de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) visant à la rendre indépendante de l’exécutif pourrait ainsi concerner «l’organisation des pouvoirs publics». Un référendum est aussi possible pour «des réformes relatives à la politique économique, sociale et environnementale». Qu’il s’agisse des questions sur le financement de la filière nucléaire, ou de son rôle contre le dérèglement climatique, chaque aspect du nucléaire peut y être soumis.
En conséquence, l’obstacle n’est pas constitutionnel, il est politique. L’organisation d’un référendum dépend surtout du bon vouloir du président de la République. Les exemples étrangers mettent alors en exergue quelques lacunes de notre Constitution.
Il manque d’abord un «référendum d’initiative citoyenne» pour contourner le quasi-monopole présidentiel. «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum», précise l’article 3. Or, le peuple ne décide pas de la manière dont il l’exerce. Le considère-t-on donc aussi souverain que la Constitution l’affirme ? Suisses et Italiens ont, eux, tranché des questions nucléaires par des référendums d’initiative citoyenne.
Instituer un quorum de participation
Quant à l’exemple lituanien, il pourrait inspirer la fixation d’un quorum de participation, qui permettrait de ne valider le résultat que si un seuil de participation était atteint. En 2009, 85% des Lituaniens s’étant déplacés aux urnes ont voté en faveur d’une prolongation de la centrale d’Ignalina, mais le seuil de participation de 50% n’ayant pas été atteint, le résultat a été invalidé.
Le nucléaire mérite une décision directe des citoyens. Ses risques inhérents que rappelle la guerre en Ukraine et la durée de vie de certains déchets impliquent de ne pas faire reposer la responsabilité de choix si graves sur un seul homme. Si les enjeux nucléaires sont si complexes, autant les isoler des campagnes électorales et leur consacrer un débat qui leur soit tout entier dédié. Le peuple français serait-il moins apte que les autres à s’exprimer sur ces questions ?