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TRIBUNE

Ce que nous dit (ou pas) «House of the Dragon» sur le Moyen Age

Game of Thronesdossier
La nouvelle série dérivée de «Game of Thrones» s’inspire d’une période historique souvent caricaturée. Alors, les tournois sanglants entre chevaliers et la mortalité infantile effroyable: vrai ou faux?
«House of dragon», extrait de l'épisode 1. (HBO)
par Florian Besson, Docteur en histoire médiévale, spécialiste des médiévalismes contemporains, a notamment coécrit «Une histoire de feu et de sang. Le Moyen Age de "Game of Thrones"» (PUF, 2020).
publié le 23 août 2022 à 21h05

Pas question ici de se demander si la série House of the Dragon est ou non «réaliste». Il s’agit d’une série de fantasy, qui s’ouvre littéralement sur le vol d’un dragon au-dessus de la capitale. Il n’y a donc rien de «réaliste» ni de «réel» dans la série… Reste qu’elle est largement inspirée par le Moyen Age européen. Sa présence diffuse dans la culture contemporaine, en particulier dans la fantasy, le médiévalisme, est de plus en plus étudiée aujourd’hui.

House of the Dragon, dont le premier épisode a été diffusé dimanche soir, est un prequel de Game of Thrones : l’intrigue se passe dans le même monde, mais 170 ans avant les aventures de Daenerys et Jon Snow. Comme sa grande sœur, cette série se déroule dans un univers imaginaire, inventé par le romancier George R.R. Martin. Son adaptation en série reprend un certain nombre de clichés souvent utilisés et représentés dans les fictions médiévalistes.

Le tournoi est ainsi une scène topique : la présence à l’écran d’un chevalier en armure, monté sur son destrier, suffit à elle seule à convoquer un ensemble d’images mentales et à assurer l’ancrage temporel de la série. Et parmi les clichés les plus ancrés dans les films médiévalistes : le casque ouvert (qui permet de voir l’acteur). Ça ne rate pas : pendant le tournoi, Ser Criston Cole garde sa visière grande ouverte tout du long. Autant dire que c’est idiot : jamais les chevaliers médiévaux n’auraient pris un tel risque… !

D’autant que dans House of the Dragon, le tournoi est immédiatement revisité à la manière caractéristique de Game of Thrones : les chevaliers se massacrent mutuellement, la caméra s’attardant sur le visage déchiqueté à la hache de l’un d’eux. On retrouve cette violence dans une autre scène de l’épisode, lorsque les sergents du guet de la capitale rendent une justice expéditive : après avoir brutalement arrêté des dizaines de personnes, ils les mutilent à la va-vite, sans procès, sans enquête, sans rappel des lois, en pleine nuit.

La réalité historique est bien plus nuancée

Dans les deux cas, cette dimension gore participe d’une vision sombre du Moyen Age, souvent perçu comme une période brutale et obscurantiste, quand bien même la réalité historique est bien plus nuancée. Si les tournois n’étaient bien sûr pas exempts d’accidents mortels – ainsi du roi de France Henri II, décédé à la suite d’une blessure reçue en tournoyant –, reste qu’il s’agit bien d’accidents, alors que la série présente ici la mort de nombreux chevaliers comme faisant partie du déroulé normal de la journée.

Aucune famille noble n’aurait accepté de participer à un tel tournoi : un fils ne se remplace pas si facilement ! Quant à la justice médiévale, loin de l’image qu’en donne la série, elle est au contraire extrêmement codifiée et même procédurière : les exécutions sont ainsi bien plus rares qu’on ne le pense souvent, comme l’a récemment montré la médiéviste Claude Gauvard.

A l’inverse, certaines scènes de l’épisode se rapprochent davantage de la réalité historique. C’est en particulier le cas, dans cet épisode liminaire, lorsque la reine Aemma s’inquiète de sa grossesse et se plaint de ses nombreuses fausses couches : en dix ans, dit-elle, elle a été enceinte cinq fois et a perdu ses cinq enfants. Une réalité inimaginable aujourd’hui qui était pourtant l’horizon d’attente de la quasi-totalité des femmes vivant au Moyen Age.

Une pause obscure dans les fictions médiévalistes

Le plus intéressant dans cette scène est de voir combien Aemma est affectée par ces deuils à répétition : on a longtemps pensé que la très forte mortalité infantile du Moyen Age avait empêché l’émergence du sentiment d’amour maternel ou paternel, mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas du tout le cas et que les hommes et femmes du Moyen Age aimaient profondément leurs enfants, portant donc le deuil de leur mort, parfois pendant des années.

Autre scène très intéressante, celle qui voit la princesse Rhaenyra Targaryen en train de réviser l’histoire du continent, sa suivante lui faisant réciter sa leçon depuis un volumineux livre d’histoire : contrairement, là encore, à ce que l’on a longtemps dit, les hommes et les femmes du Moyen Age, en particulier dans les milieux nobles, n’étaient pas des brutes analphabètes. Le médiéviste Martin Aurell a ainsi pu démontrer l’existence de «chevaliers lettrés», grands consommateurs et souvent producteurs de textes, et on sait aujourd’hui qu’une part non négligeable de la population sait lire et /ou écrire.

Finalement, quand on regarde cet épisode avec un œil d’historien, le plus étonnant est de voir à quel point le paysage social, économique, politique, est le même que dans Game of Thrones. Cent soixante-dix ans séparent pourtant les deux séries, mais rien ne semble avoir changé : ni la technologie, ni la langue, ni l’aspect de la ville, ni les techniques martiales, etc. C’est là aussi un aspect caractéristique d’une grande partie des fictions médiévalistes, qui se plaisent –ou se complaisent – à imaginer une histoire figée dans un Moyen Age immobile, reprenant l’idée selon laquelle ces siècles médiévaux seraient une longue parenthèse dans l’évolution historique, pause obscure entre les chatoiements de l’Antiquité et les feux de la modernité. Or, évidemment, il n’en est rien : entre 1000 et 1170, ou entre 1250 et 1420, le monde change énormément. Bien plus que les dragons, c’est là, dans cette histoire ralentie, dans cette immobilité sociale et technologique presque absolue, qu’est l’aspect le plus fantastique du monde dans lequel se passe House of the Dragon !