Le cyclone qui a frappé Mayotte n’est pas qu’un désastre climatique, il est aussi le produit d’une faillite collective et d’une gestion répressive de l’habitat précaire.
On ne connaît pas encore l’étendue des dégâts matériels et humains, mais le cyclone a ravagé des quartiers entiers, dans lesquels les habitations étaient majoritairement construites en matériaux légers.
A rebours du discours selon lequel les bidonvilles n’accueillaient que des «irréguliers», réduisant le problème à la question migratoire, la réalité était bien plus complexe. D’après les données dont nous disposons : deux tiers des ménages qui vivaient dans un logement précaire avaient à leur tête un adulte de nationalité française ou en situation régulière ; dans ces logements, un adulte sur deux était en situation régulière sur le territoire mahorais ; on ne choisit pas l’indignité, on la subit. Dans un territoire où le logement locatif privé décent est extrêmement réduit, et où les logements sociaux sont inaccessibles à une population en très grande pauvreté (le revenu médian est de 260 euros par mois), les habitants des logements précaires ne disposaient pas des ressources suffisantes pour accéder à un logement «en dur».
A lire aussi
Si dans la période récente, des projets de rénovation urbaine et de résorption d’habitat insalubre ont été lancés en direction de certains de ces quartiers, c’est avant tout sous l’angle migratoire et sécuritaire que s’est structurée une politique publique à l’échelle du département. Depuis 2020, des opérations de démolition de ces quartiers ont régulièrement été conduites, sans qu’un relogement pérenne et digne soit proposé aux habitants délogés. L’opération Wuambushu visait avant tout à supprimer un habitat associé à la clandestinité et à l’insécurité, reléguant au second plan la nécessité sociale, morale et sanitaire d’assurer à chacun un logement digne.
Aujourd’hui, le comble de l’indécence est atteint : certains voudraient reporter la responsabilité de la catastrophe humanitaire qui se profile sur celles et ceux qui ont osé rappeler que déloger sans reloger était une erreur humaine, un pari insensé face à des vies déjà fragilisées.
A lire aussi
Compte tenu de la crise actuelle que traverse le territoire, nous ne pouvons rester indifférents au sort des hommes, des femmes et des enfants qui, bien qu’ils fassent partie de la société et contribuent à son développement, sont exclus d’un logement digne. Nous déplorons aujourd’hui des pertes, dont beaucoup sont irréparables.
Nous constatons les conséquences d’une gestion répressive de l’habitat précaire et de l’application d’une politique de logement social qui exclut systématiquement l’accès à un logement digne et durable des populations les plus pauvres et vulnérables.
Face à la crise vécue, nous ne pourrons agir avec résilience ni tirer les enseignements de cette catastrophe sans envisager un changement profond des cadres réglementaires en matière d’aménagement et d’habitat. L’action publique doit assumer ses responsabilités et garantir à chacun un logement décent et durable, sans aucune discrimination.
Signataires : des chercheurs des universités de Toulouse Jean-Jaurès, d’Aix-Marseille, de Lumière Lyon-II, de Rouen, de Paris Cité, de Paris Nanterre et du Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique-épistémologie & sciences sociales de l’université de Picardie Jules-Verne dont Aude Sturma Docteure en sociologie, chercheuse associée au Certop de l’université de Toulouse, Clémentine Lehuger Docteure en science politique, chercheuse associée au Curapp-ESS, Mégane Aussedat Doctorante en sociologie au laboratoire Dysolab de l’université de Rouen.