Ce sont parfois des générations entières qui nous crient dans le ventre. Ce cri, je l’ai entendu sans le comprendre. C’était le 30 juillet. Le jour de l’attentat contre Fouad Chokr, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Je me promenais au bord de l’eau, dans un petit village de pêcheurs, en Corse. Mon épouse m’a dit : «Tu as entendu ce qui s’est passé ?» Je n’avais pas entendu. J’étais ailleurs, j’en avais besoin. J’avais fui enfin, étouffé par les dangers que je vivais, que je vis encore, car je fais partie moi aussi de ces Arabes qu’on méprise à tout va, de ces Palestiniens dont la communauté internationale, les médias, les institutions donnent les preuves chaque instant d’une vie dispensable, de ces Libanais que l’on regarde sombrer aujourd’hui dans le gouffre sans aide aucune.
Je fuyais, oui, mais tout m’a rattrapé. Je me suis assis au bord de l’eau, le souffle court, les yeux mouillés, la gorge nouée. Je n’ai pas su quoi dire, comment m’expliquer. Il n’y avait pas de raison, c’était un membre du Hezbollah, l’attaque avait été «ciblée», rien ne présageait une suite, j’étais à des milliers de kilomètres de là, en sécurité. Ma famille aussi habitait soit hors du Liban soit dans des quartiers qui n’étaient pas concernés. Alors ?
«Mais là,