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TRIBUNE

Décoloniser le droit ?

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L’Occident hérite d’une conception juridique où la loi est la même pour tous, alors que les dérogations étaient la règle dans les colonies. Pour l’historien Pierre Singarévélou, la décolonisation du droit implique d’examiner la «colonialité» qui se loge encore dans nos pratiques juridiques, mais aussi de s’intéresser aux traditions juridiques non occidentales.
En 1955, en Algérie, des troupes françaises patrouillent dans la région montagneuse d'El Kantara, près de Siskre. (Keystone Press/Alamy)
par Pierre Singaravélou, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, a notamment dirigé «Colonisations. Notre histoire» (Seuil, 2023).
publié le 23 mai 2024 à 5h32

«Au nom de la loi !» Pour sa 7e édition, le festival l’Histoire à venir, qui se tient de ce mercredi à dimanche à Toulouse, a choisi de braquer le regard des historiens sur le droit, sa vie au rythme des sociétés ­entre bouleversements politiques, mobilisations sociales ou crises écologiques et climatiques. «Quand les femmes se mobilisent pour leurs droits», «Ordre social, ordre environnemental», «Grèce et Rome, deux façons de penser et vivre le droit» ou encore ­«Figures de ­hors-la-loi dans l’histoire»… Autant de ­sujets qui permettront de mieux comprendre si ce qui est légal est légitime, et quel est le pouvoir d’action des citoyens pour faire changer nos règles communes.

Revendiquant depuis la Révolution française l’héritage juridique de la Rome antique, la France aime à se présenter comme la patrie du droit, le pays où «c’est à la loi seule que les hommes doivent la justice et la liberté» selon la célèbre formule de Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’économie politique. Dès lors, la loi, définie par les juristes européens comme neutre, séculière, rationnelle, et bien souvent, universelle, devient l’apanage exclusif du Vieux Continent tandis que le reste du monde serait voué à l’anomie, ou bien régi par de simples «coutumes». Considérée comme archaïque, religieuse, inconsciente et informelle, la coutume constitue l’envers de la loi occidentale, envisagée elle comme réfléchie et moderne. Aux XIXe et XXe siècles, de nombreux travaux de droit