Un après-midi, au printemps 1994. Dans les couloirs de Weidenfeld and Nicholson, une maison d’édition londonienne. Ce jour-là paraissait mon tout premier livre, la Rivière de l’exil. J’étais arrivé dans les bureaux, plein de morgue et d’assurance. Je m’étais imaginé du champagne. Une énorme fête, à tout le moins. Des flashs. Des discours. Des grandes tapes dans le dos.
Or, il ne s’était rien passé, et il semblait évident qu’il ne se passerait jamais rien. J’ai erré dans les couloirs, sonné, abattu. C’était donc ça, l’édition. C’était comme ça que les livres se frayaient leur pauvre chemin dans le monde.
Sa voix était comme un don du ciel
J’attendais mon éditeur, avec lequel je devais aller boire un verre. Tout le monde avait l’air affairé. Je passais de couloir en couloir. En toute fin d’après-midi, la porte d’un bureau s’est ouverte, laissant sortir un petit groupe nimbé de lumière. Je revois la scène comme dans un film. Elle s’est gravée sur ma rétine. Le groupe faisait une sorte de halo humain autour d’une femme impressionnante qui avait un châle et une haute chevelure rousse. Je la connaissais, naturellement. J’avais lu la plupart de ses œuvres. Elle avait même dit du bien de mes nouvelles, par avance.
Elle a tendu la main. Elle m’a d’emblée paru majestueuse. Sa voix était comme un don du ciel. Elle m’a dit qu’elle ferait le soir même une lecture de son dernier livre,