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TRIBUNE

Ellsworth Kelly à la Fondation Vuitton, l’homosexualité invisibilisée

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La rétrospective qui se tient en ce moment à la Fondation Louis Vuitton ne fait pas la moindre référence à l’homosexualité de l’artiste abstrait. Pour l’historien Antoine Idier, sa sexualité a pourtant été déterminante dans son œuvre.
«Spectrum VIII» d'Ellsworth Kelly à la Fondation Louis Vuitton, à Paris. (Marc Domage/Fondation Louis Vuitton)
par Antoine Idier, historien
publié le 12 mai 2024 à 10h25

Un jour du printemps 1957, un couple d’artistes s’assied sur une jetée du sud de Manhattan, au bord de l’East River, et partage une orange. L’un d’eux conserve la pelure du fruit et, de retour dans son atelier, en fait le point de départ d’une œuvre abstraite, une forme orange sur un fond bleu. Intitulée Orange Blue, l’œuvre porte au dos cette inscription : «Pour Robert une écorce d’orange de la jetée 7.»

Ce couple n’est pas n’importe lequel : il réunit deux artistes dont les œuvres, majeures, vont contribuer à bouleverser l’art du XXe siècle, l’«abstrait» Ellsworth Kelly (1923-2015) et le «pop» Robert Indiana (dont l’assemblage de lettres Love est reproduit dans le monde entier, 1928-2018). Ils vivent quelques années ensemble, à un moment décisif de maturation de leurs œuvres respectives, alors que, trentenaires, ils cherchent la reconnaissance. Robert Indiana a ainsi déclaré : «Avec Ellsworth, toute ma vision de la vie a changé.»

Cette histoire, on ne la trouvera pas sur les cartels de la Fondation Vuitton, où vient d’ouvrir une rétrospective consacrée à Kelly, pas plus qu’on ne trouvera la moindre référence à l’homosexualité de l’artiste : elle est proprement évacuée et effacée. L’e