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TRIBUNE

En Syrie, sept jours après le séisme, que fait l’aide internationale ?

Séismes en Turquie et en Syriedossier
Le nord-ouest du pays, déjà ravagé par la guerre avant le tremblement de terre, ne reçoit d’aide que par le corridor humanitaire de Bab al-Hawa, dont l’ouverture doit être renouvelée tous les six mois. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, les médecins Raphaël Pitti et Ziad Alissa appellent à prolonger ce couloir pour un an et à en ouvrir un second à Bab al-Salam.
Le convoi des Nations unies entré par la Turquie, dans le nord-ouest de la Syrie, au point de passage de Bab al-Hawa, le 9 février 2023. (Omar Haj Kadour/AFP)
par Ziad Alissa, Anesthésiste-réanimateur, Président Mehad (ex-UOSSM France) et Raphaël Pitti, Anesthésiste-réanimateur, spécialiste médecine de guerre, responsable formation Mehad (ex-UOSSM France)
publié le 13 février 2023 à 18h35

Monsieur le président de la République,

C’est avec un profond sentiment de révolte que nous, médecins humanitaires, présents en Syrie depuis douze ans, sollicitons votre engagement.

Le séisme en Turquie et en Syrie est un cataclysme sans précédent. La réponse internationale est inadaptée et n’est pas à la hauteur de l’ampleur de la catastrophe. Dans le nord-ouest de la Syrie, les populations déjà martyrisées sont littéralement abandonnées à leur sort. Sept jours après la secousse et ses répliques, les secouristes, les soignants et les organisations humanitaires, les seuls à agir sur place, n’ont reçu aucun soutien de la part de la communauté internationale et des Nations unies qui n’a pas décrété d’urgence. Ils n’ont pas pris la mesure de la déflagration que représente ce tremblement de terre effroyable.

Nous vous demandons, Monsieur le Président, en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, de présenter une résolution visant à prolonger pour un an le corridor humanitaire de Bab al-Hawa et à réouvrir un deuxième couloir humanitaire à Bab al-Salam, indispensable à la survie du peuple syrien.

Après la guerre et le séisme, le chaos… Dans le nord-ouest de la Syrie, le séisme s’est abattu sur une région déjà ravagée par douze ans de guerre. Les bâtiments éventrés, où habitaient malgré tout les populations et de surcroît des déplacés faute de mieux, sont complètement détruits. A Jindires, à Sarmada, ce sont des villages entiers qui ont été rasés de la carte. En pleine nuit, à 4 heures du matin, face au fracas du séisme, ceux qui avaient pu se réfugier dehors, se sont retrouvés dans le froid par -4 °C avec de la neige par endroits, et sur eux, les vêtements qu’ils portaient pour seul bagage. Sans nourriture, sans eau potable, sans chauffage, ils sont abandonnés. Ils ont tout perdu pour la énième fois. Ils avaient connu les bombardements de plusieurs immeubles sur une ou plusieurs journées. Mais comment fait-on face à un séisme qui détruit plusieurs milliers d’immeubles en une fraction de seconde ?

Depuis le premier jour, l’aide internationale n’est pas à la hauteur. Durant les trois premiers jours, les secouristes, faute de moyens lourds de relevage et d’étayage, se sont retrouvés à devoir déblayer à mains nues. Aujourd’hui, la fenêtre cruciale des 72 premières heures pour retrouver des survivants s’est refermée.

C’est ici et maintenant qu’il faut agir

Si nous attendons encore, les populations continueront de mourir par manque de soins, faute de prise en charge pour intervenir. Les besoins sont immenses et urgents. C’est ici et maintenant qu’il faut agir, pas demain pour reconstruire sur les morts. Les soignants sont débordés dans les hôpitaux, les centres de santé et les cliniques mobiles. Ils manquent de tout. Pour le moment, ils traitent les blessés uniquement grâce à leurs réserves disponibles dans les entrepôts. Quant aux rescapés qui se retrouvent sans-abri, il est nécessaire de leur apporter une aide de première urgence : tentes, chauffage, paniers alimentaires ainsi que des soins médicaux… Or, les hôpitaux ont été détruits par la guerre, les structures médicales ont dû fermer faute de financement. Comment alors apporter une réponse d’urgence face à un tel séisme ?

Les couloirs humanitaires transfrontaliers doivent être réouverts et opérationnels. Au moment où nous vous adressons ce courrier, seule une dizaine de camions ont pu arriver sur le territoire syrien et ce, cinq jours après le drame. Chargés pour la plupart de matériel inadapté à la crise car prévus de longue date, ils représentent une aide bien mince au regard des besoins réels de la population pour faire face à l’ampleur du drame qui les frappe. La France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, se doit de présenter une résolution qui vise à augmenter les corridors humanitaires et demander un «cessez-le-feu». En effet, le jour du séisme, tandis que le village de Marea pleurait ses morts, il était visé par des bombardements, une attaque impitoyable et odieuse.

Au moment de ce cataclysme, la France pourrait être à l’origine d’une résolution de paix, de solidarité, synonyme de vie pour les millions de Syriens.

Ainsi, nous exhortons la France et la communauté internationale à : mettre en place une aide d’urgence de grande ampleur à travers le dernier couloir humanitaire encore ouvert de Bab al-Hawa et ré-ouvrir le corridor humanitaire de Bab al-Salam, où des milliers de personnes sont sous des tentes dans des conditions désastreuses ; mettre en place un hôpital mobile à la frontière syro-turque pour prendre en charge les victimes du séisme qui manquent de moyens de réanimation, de ventilation et de dialyse ; intervenir en faveur d’un cessez-le-feu immédiat en Syrie pour faciliter l’aide aux victimes des séismes ; être acteurs du respect du droit humanitaire international afin d’apporter une aide globale à tous les sinistrés en Syrie, y compris dans le nord-ouest du pays à Idleb et sa région.

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