Face au danger historique de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, nous avons plus que jamais besoin d’égalité pour faire société. En écartant Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité, à la diversité et à la prévention des discriminations au ministère de la Culture, Rachida Dati fait pourtant le choix inverse. Au moment d’une élection à hauts risques, cette décision fragilise dangereusement les politiques d’égalité et de diversité et sonne comme un début de purge de la haute fonction publique avant même l’éventuelle arrivée du Rassemblement national au pouvoir.
Le monde de la culture n’est épargné ni par les inégalités professionnelles, ni par les violences sexistes et sexuelles, comme l’ont mis en évidence #MeToo et, dernièrement encore, les mobilisations autour de Judith Godrèche. De plus, qu’il s’agisse des mondes du cinéma, de l’art, de l’architecture, du spectacle vivant, des médias ou du patrimoine, un fonctionnement sexiste continue de produire des inégalités professionnelles. Le ministère de la Culture est pourtant resté bien longtemps indifférent à ces constats, établis dès les années 2000. C’est seulement par la mission confiée à Agnès Saal, en 2018, qu’il a réellement entamé une politique volontariste correctrice des inégalités.
Beaucoup reste à faire, mais des progrès importants sont à souligner : nombre de financements du ministère sont aujourd’hui conditionnés au respect de l’égalité des sexes, les directions des institutions culturelles comptent de plus en plus de femmes, les postes de direction de l’administration culturelle se féminisent, les dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles se sont multipliés. En écartant la haute fonctionnaire qui incarne ces avancées, le gouvernement attaque directement les politiques de lutte contre les discriminations et les inégalités. Si l’extrême droite devait prendre le pouvoir, elle aurait ainsi la voie libre pour mettre fin à des politiques auxquelles elle s’oppose obstinément, et porter un coup d’arrêt à la progression de l’égalité et à la lutte contre les discriminations de tous ordres.
Accusations de militantisme
Annoncée comme priorité présidentielle depuis 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité femmes-hommes semble aujourd’hui embarrasser l’exécutif. Au-delà du seul secteur de la Culture, ce sont ainsi tout·es les fonctionnaires chargé·es des questions d’égalité qui sont sous la menace de sanctions professionnelles. Spécialistes de ces enjeux, investi·es dans la mise en œuvre des décisions politiques de leur gouvernement, ceux-ci et, surtout, celles-ci sont déjà trop souvent confronté·es à des accusations de militantisme dans l’exercice de leurs missions. En évinçant Agnès Saal, la ministre de la Culture donne du crédit à ces accusations et ouvre la voie à la possibilité d’une véritable purge dans la (haute) fonction publique.
La menace cible tout·es les fonctionnaires chargé·es des politiques qui ne trouveraient pas grâce aux yeux d’un gouvernement Rassemblement national. Quel avenir pour les nombreux·euses professionnel·les qui, dans l’Etat, portent par exemple les politiques de transition écologique, de lutte contre le racisme et plus largement d’accès de tou·tes les citoyen·nes à leurs droits ? Le gouvernement, après avoir déjà fragilisé ces politiques, semble ouvrir la voie à une véritable chasse aux sorcières contre ces fonctionnaires.
Pour toutes ces raisons, le choix de la ministre de la Culture, en période de grande incertitude politique, a de quoi inquiéter. En tant que sociologues et politistes spécialistes des enjeux d’égalité dans l’administration et le secteur culturel, nous rappelons l’impérieuse nécessité de politiques volontaristes et appelons au maintien d’expert·es engagé·es au service de leur mise en œuvre.