A l’école, à Beyrouth, j’étais convaincu que le Bassin parisien était plein d’eau, la preuve en étant qu’en son centre se trouvait une île. Comment deviner qu’il n’en était rien ? La France réelle était à des milliers de kilomètres, nous n’avions devant nous que sa carte géographique pendue au tableau noir. Nous avions aussi son discours, «Liberté, égalité, fraternité», droits de l’homme, Lumières, laïcité, des principes beaux comme un rêve, rendus irréels à cette distance – et même surannés comme le discours d’un proviseur vantant des valeurs jadis vivaces à la cérémonie de remise des prix de fin d’année.
Mon corps était à Paris, mon esprit restait là-bas
Plus tard à Paris, à gauche, et même très à gauche, on m’a appris que les fameuses valeurs, certes attestées, devaient être regardées avec un brin de méfiance. La démocratie n’était-elle pas «bourgeoise» ? La prétendue patrie-des-droits-de l’homme avait-elle agi en tant que telle dans ses colonies ? La célèbre devise républicaine était-elle autre chose qu’un slogan publicitaire (de droite) dans un monde de féroces luttes des classes et d’exploitation de l’homme par l’homme ?
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Plus tard encore, naturalisé français, journaliste puis écrivain, j’ai consacré quasiment toute mon énergie à écrire sur les terribles déflagrations du Proche-Orient – en particulier celle qui a détruit de fond en comble mon pays natal. Mon corps était essentiellement à Paris (où ma vie était belle) mais mon esprit restait là-bas, d’autant plus investi que l’être humain accorde toute son attention à ce q