A AXA, son PDG, son conseil d’administration, ses salariés,
A partir du 7 mai, en tant qu’actionnaire, vous serez amené à voter pour ou contre la stratégie «climat» de la major pétrolière et gazière, Total. Si je vous écris aujourd’hui, c’est dans l’espoir de vous convaincre de voter contre. Votre vote est déterminant pour deux raisons. Premièrement, il influera sur la direction stratégique de Total et son impact sur la crise climatique. Deuxièmement, il y va de la crédibilité d’AXA. Acteur financier majeur et réputé pour ses prises de position face à la crise climatique, vous présidez désormais une coalition d’assureurs mobilisés pour accélérer la transition vers une économie décarbonée, et vous avez à plusieurs reprises affirmé votre engagement à aligner vos investissements sur l’Accord de Paris et éviter un réchauffement supérieur à 1,5°C. Tout cela ne deviendra qu’un exercice rhétorique si vous soutenez, en connaissance de cause, la stratégie climaticide de Total.
Vous avez renforcé vos investissements «verts», et adopté une politique de sortie progressive du charbon que nous avons largement salué, mais vous n’êtes pas sans savoir que cela ne suffira pas à stabiliser le réchauffement climatique en deçà du seuil critique d’1,5°C. Le rapport spécial du GIEC publié en 2018 indique que rester sur cette trajectoire impose des efforts sans précédents et des «transformations rapides et profondes» dans tous les secteurs, pétrole et gaz compris. Le Production Gap Report des Nations unies chiffre le rythme : la production de pétrole et de gaz doit diminuer respectivement de 4% et 3% par an. Il s’agit bien de réduire, et à terme arrêter la production de pétrole et de gaz. A contre-courant de la tendance mondiale qui prévoit une hausse de la production d’énergies fossiles de 2% par an.
Une production de gaz qui n’a rien de vert
Actuellement, votre politique ne permet pas d’inverser cette tendance destructrice. Au contraire, vous continuez de soutenir une major pétrolière et gazière comme Total dont la stratégie «climat» actuelle n’est ni crédible ni compatible avec l’objectif de stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C.
Vous avez lu comme moi la stratégie «climat» : elle ne prévoit pas de réduire la capacité de production d’énergies fossiles. Au contraire, le PDG Patrick Pouyanné annonce même une hausse de 30% sa production de gaz entre 2019 et 2030 et au cas où vous en doutiez encore, le gaz naturel n’a rien de vert, c’est une énergie fossile très émettrice de gaz à effet de serre. Dans dix ans, Total consacrera encore 80% de ses dépenses d’investissement au pétrole et au gaz, pour extraire et transporter de nouvelles réserves. Certains projets comportent des risques très lourds pour la biodiversité, les droits humains. C’est le cas du mégapipeline pétrolier EACOP, associé au projet d’ouverture de nouvelles réserves Tilenga dans la région des grands lacs en Afrique de l’Est. C’est également le cas des cinq projets de forage dans la région Arctique qui abrite des écosystèmes très fragiles et uniques au monde.
Vous me répondrez sûrement que Total fait des efforts, que c’est déjà mieux que rien, et que c’est déjà bien que Total consulte ses actionnaires. Certes. Mais vous devez analyser les efforts des entreprises dans votre portefeuille à l’aune d’un seul critère : font-ils assez pour répondre à l’urgence climatique ? Et dans le plan de Total, le compte n’y est pas. Cela ne suffit pas que Total réduise l’intensité carbone de ses activités de 15 à 20% là où il faudrait la réduire de 90% pour rester en deçà d’1,5. Cela ne suffit pas non plus si Total vous précise comment il compte agir sur 10% de ses émissions de gaz à effet de serre mais ne se fixe pas d’objectifs chiffrés pour les 90% restants. Ce manque de transparence est source de risque pour vous et pour la planète.
Une sortie nécessaire du pétrole et du gaz
L’année dernière, en tant qu’actionnaire, vous aviez choisi de laisser à Total le bénéfice du doute sur sa politique climat. Vous pensiez sans doute que votre vote en soutien de Total permettrait d’encourager l’entreprise à faire plus et mieux, et à l’accompagner dans sa «transition». Mais cette année, le doute n’est plus permis : en votant pour la stratégie climat de Total, vous enverriez surtout un signal à l’industrie pétrolière et gazière qu’elle peut continuer à aggraver la crise climatique, sans conséquences et sans sanctions. En votant pour, vous deviendrez co-responsable de cette stratégie et de ses impacts sur le climat, la faune, la flore et les populations. Vous perdriez toute crédibilité climatique et iriez à l’encontre de votre raison d’être d’assureur. Vous rejoindriez, tout simplement, le camp des greenwashers.
J’espère sincèrement que vous ferez le choix de renouer avec votre leadership passé et d’œuvrer sans attendre pour une sortie progressive mais nécessaire du pétrole et du gaz. Comme vous l’avez fait avec succès pour amorcer une sortie du charbon il y a quelques années. Ce travail de conviction contre les stratégies d’expansion climaticides des entreprises peut et doit commencer maintenant, à l’occasion d’un vote contre la stratégie «climat» de Patrick Pouyanné.