Menu
Libération
TRIBUNE

Les yeux de Paul Auster nous disaient «regardons la pluie et donnons peut-être un sens à tout cela», par Colum McCann

Article réservé aux abonnés
L’écrivain irlandais Colum MacCann évoque sa dernière rencontre en 2022 à la bibliothèque publique de New York avec l’auteur américain disparu le 1er mai, son sens de la solidarité et son écriture capable de faire qu’une rue de Brooklyn s‘étendait au reste du monde.
L'écrivain Paul Auster, à Paris, en 2013. (Rudy WAKS/Rudy WAKS)
par Colum McCann, écrivain
publié le 8 mai 2024 à 18h10

Le 19 août 2022, Paul Auster participait avec une douzaine d’écrivains à un événement du PEN Club de New York intitulé Stand With Salman. Salman Rushdie avait été sauvagement poignardé une semaine auparavant. Paul se tenait sur les marches dans sa tenue noire habituelle, ses cheveux gris balayés en arrière, et lisait, avec beaucoup d’allant, les mots de Rushdie sur l’importance d’écrire des romans dans l’étroitesse empoisonnée de notre époque.

L’une des choses que Paul Auster a toujours défendues, c’est la capacité de penser concrètement et avec compassion, de manière contradictoire, au monde intérieur, afin de reconnaître également le monde plus large qui nous entoure. Nous devons comprendre les vies au-delà de la nôtre. Ouvrir les rideaux. Déverrouiller les positions des uns et des autres. C’est ce qui se passe, selon Paul, dans la nature labyrinthique de la narration.

Je me souviens avoir lu ses premiers romans : j’avais l’impression qu’il avait fendu l’atome. L’atome était local, bien sûr, mais son effet était universel. Une rue de Brooklyn s’étendait au reste du monde.

Pour Paul, l’imagination éthique a toujours été primordiale. Dans l’esprit spinozien, tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare. Ce qui donne de la lumière doit supporter