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Libération
TRIBUNE

Madame la présidente du Parlement européen, reprogrammez la conférence de Maboula Soumahoro sur l’antiracisme !

Dans une lettre ouverte à Roberta Metsola, plusieurs centaines d’intellectuels et de personnalités, dont Virginie Despentes, Rokhaya Diallo, Aïssa Maïga et Eric Fassin dénoncent le report, sous la pression de Marion Maréchal et d’élus d’extrême droite, d’une intervention de la chercheuse Maboula Soumahoro.
Maboula Soumahoro, maîtresse de conférences à l’université de Tours, lors du «Libé des historiens», à Paris, le 9 octobre 2024. (Albert Facelly/Libération)
par Audrey Célestine, historienne et politiste, Myriam Cottias, historienne, Rokhaya Diallo, autrice et réalisatrice, Tara Dickman, enseignante et formatrice, Alice Diop, cinéaste, Penda Diouf, autrice et metteuse en scène, Eva Doumbia, autrice, metteuse en scène, Nadia Yala Kisukidi, philosophe et écrivaine, Grace Ly, autrice et Mame-Fatou Niang, maîtresse de conférences
publié le 26 novembre 2024 à 9h07

Madame la présidente du Parlement européen,

C’est avec consternation et effroi que nous avons appris le report d’une table ronde organisée par la direction générale du personnel du Parlement européen consacrée à la lutte contre le racisme, à laquelle était invitée l’universitaire française Maboula Soumahoro. Dans un contexte mondial de progression des idées de haine et du rejet de l’autre, cette table ronde proposée au personnel du Parlement européen incarnait une démarche de dialogue et de compréhension mutuelle. Or, sous la pression de groupes d’extrême droite siégeant au Parlement européen, cette rencontre a été différée et risque d’être annulée. L’extrême droite disposerait-elle désormais d’un droit de censure au sein du Parlement européen empêchant la tenue de discussions libres et ouvertes à tous ses membres ?

On pourrait le croire, et s’en émouvoir légitimement. En moins de vingt-quatre heures, ces groupes ont obtenu gain de cause sous le prétexte d’être dorénavant – et ce, à rebours de leur histoire – les garants de la lutte antiraciste, de la promotion de l’égalité et de l’inclusion au travail au sein du Parlement européen. Or, nous ne ferons à personne l’affront de rappeler que ces partis d’extrême droite sont les héritiers de ce qui s’est fait de pire en termes de racisme sur le continent européen et qu’ils alimentent, aujourd’hui encore, des idéologies identitaires périlleuses. Plus qu’une inversion accusatoire, il s’agit d’un piétinement des valeurs sur lesquelles se sont reconstruites les nations d’Europe après la Seconde Guerre mondiale.

Un supposé racisme anti-blanc qui ne repose sur aucun fait

Les arguments qui sont avancés pour disqualifier Maboula Soumahoro, à savoir le soupçon d’antisémitisme adossé à un supposé racisme anti-blanc ne reposent sur aucun fait tangible. Le journal Mediapart a démonté ces allégations fallacieuses. Notons que ces calomnies s’inscrivent dans la stratégie d’inversion accusatoire pratiquée partout par l’extrême droite. Enseignante et chercheuse, Maboula Soumahoro est une spécialiste reconnue internationalement des questions liées au racisme et aux discriminations, raison pour laquelle elle a été invitée. Depuis le report de cette conférence, elle subit une campagne de harcèlement en ligne et un déchaînement de haine et de menaces portant atteinte à sa sécurité physique.

Nous sommes intimement convaincues qu’au-delà de la figure de Maboula Soumahoro, sont plus largement visés les chercheur·es et les intellectuel·les travaillant sur les questions raciales et de discriminations, surtout lorsqu’ils.elles sont issu·es des minorités.

En tant que citoyennes françaises et européennes, nous attendons du Parlement européen qu’il soit un rempart contre les fantasmes et la désinformation diffusés par les voix extrêmes. Nous ne pouvons accepter que l’Europe où nous vivons et travaillons devienne le symbole d’une nouvelle démission intellectuelle, humaine et morale, aux conséquences mortifères.

Le Parlement européen est pour nous l’enceinte sacrée de la vérité et doit garantir des conditions de débats véritablement démocratiques permettant d’améliorer l’avenir des peuples européens.

Pour ces raisons, nous vous appelons, madame la présidente, à soutenir avec force les initiatives consacrées aux luttes contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations, et à reprogrammer la conférence de madame Maboula Soumahoro qui a toute sa place au sein de cette institution commune.

Premiers signataires : Jeanne Added Musicienne Adèle Haenel Actrice et militante féministe Hortense Archambault Directrice de Scène nationale Pénélope Bagieu Autrice de BD Etienne Balibar Universitaire Aya Cissoko Sportive et écrivaine Alice Coffin Journaliste et militante Virginie Despentes Ecrivaine Mati Diop Cinéaste Caroline Guiela Nguyen Metteuse en scène, autrice et directrice de Théâtre National Annie Ernaux Ecrivaine, prix Nobel de littérature Eric Fassin Sociologue Camille Froidevaux Metterie Philosophe Faïza Guène Romancière et scénariste Hélène Frappat Ecrivaine François Héran Sociologue Chowra Makaremi Anthropologue Aïssa Maïga Actrice et réalisatrice Guillaume Meurice Humoriste Stanislas Nordey Comédien et metteur en scène Alain Policar Sociologue Paul B. Preciado Philosophe et chroniqueur à Libération Céline Sciamma Scénariste et réalisatrice Jean-Pascal Zadi Réalisateur, acteur, producteur de cinéma et rappeur…

La liste complète des signataires est à retrouver ici.

Signez ici la pétition.