Erigée au départ comme une règle civique, moralement légitime parce que sanitairement salutaire, la «distanciation» a eu raison de nous. Ou plutôt, elle a eu raison contre nous, en soumettant nos corps et nos esprits à son ordre sémantique : une invitation à mettre le monde à distance de soi. Cette capture mentale, trait central de tout biopouvoir, n’a fait que suivre à la lettre la promesse globale d’un mot pour mettre en scène sa potentialité performative. «Sociale» ou «physique», selon la chronologie et les contextes de l’énonciation venue des autorités gouvernementales et médicales, la distanciation s’est imposée comme la règle diffuse de nos existences évidées. Des existences trouées par l’éloignement de tout : des autres, des visages, des rencontres, des contacts, du toucher, des voyages, des hasards, bref, du principe d’altérité ; mais aussi de soi-même, de sa propre intériorité, de sa subjectivité affectée par l’injonction à ne compter que sur soi, en dehors des autres, à distance des autres. On a beau être majeur et vacciné ; on n’en est pas moins distancié.
Depuis plus d’un an, au fil des mois, l’ordre de la distanciation n’a cessé d’étendre son pouvoir, à bas bruit, masqué, jusqu’à nous faire douter de nous-mêmes. Comme si, en devant s’autocentrer, chacun en venait à s’autocensurer, à se priver de la conscience du plaisir de vivre, de se connaître en se confrontant aux autres. Le règne de la distanciation, si l’on en faisait un bilan dépassant le cadre sanitaire, p