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TRIBUNE

Mort de Raïssi : les images de deuil ne disent rien de la détestation des Iraniens pour un pouvoir bourreau

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L’anthropologue Chowra Makaremi souligne la violence du traitement médiatique qui a privilégié la foule en pleurs aux messages de joie sur les réseaux sociaux qui étaient une façon de dire : «On est encore là, on n’oublie pas et on ne pardonne pas».
Aux funérailles du président Ebrahim Raisi, le 20 mai à Téhéran. (Atta Kenare/AFP)
par Chowra Makaremi, anthropologue
publié le 26 mai 2024 à 16h32

Il y a trente-six ans, un hélicoptère promenait quatre membres des ministères de la Justice et des Renseignements iraniens, de prison en prison, à travers le pays : leur mission était d’interroger les opposants détenus qui défilaient devant eux en longues queues, puis de les ordonner en deux rangs. Celles et ceux de gauche partaient vers la mort, celles et ceux de droite retournaient dans leurs cellules où ils seraient fouettés à l’heure de chaque prière, jusqu’à ce qu’ils acceptent de prier ou meurent à leur tour sous les coups. Les files de gauche étaient les plus grosses, témoignent les survivants. Mais nul d’entre elles et eux ne savaient à l’époque ce que signifiaient ces tris et ce qui les attendait. Les questions étaient insolites : «Priez-vous ?», «Vos parents priaient-ils ?», «Que pensez-vous de la république islamique ?».

Les prisonniers, détenus pour la plupart depuis le début des années 80, purgeaient la fin de leur peine : on leur avait parlé du passage devant une «commission d’amnistie». Le groupe était, en réalité, chargé d’appliquer le décret du Guide suprême, Khomeiny, qui ordonnait la mort de tous les prisonniers restés «fidèles à leurs positions». On ne sait pas combien moururent, quand et comment en ces mois d’été 1988, au moins plusieurs milliers. Ma mère en faisait partie. Dans cette «commission de la mort», comme on l’appelle depuis, siégeait