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Ne laissons pas les talibans condamner les Afghanes au silence

Tandis qu’à l’intérieur, de nouvelles lois interdisent aux femmes de parler dans l’espace public, à l’extérieur, celles qui dénoncent, à l’instar de l’athlète Marzieh Hamidi, sont menacées de mort. Des militantes féministes appellent à une mobilisation générale pour faire surgir les paroles confisquées et dénoncer un «apartheid de genre».

Depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les talibans ont publié au moins 52 décrets instaurant un régime confinant les femmes. Des femmes afghanes dans un atelier à Kandahar le 4 septembre. (Sanaullah Seiam/AFP)
Par
Shakiba Dawod
militante féministe afghane, présidente de l’association «Le Cercle persan»
Geneviève Garrigos
conseillère de Paris, ancienne présidente d'Amnesty International France
Publié le 08/09/2024 à 15h01

Le 15 août 2021, les talibans reprenaient le contrôle de l’Afghanistan, plongeant le pays dans un régime de terreur où les femmes étaient à nouveau privées de droits durement acquis. La veille encore, des millions de filles fréquentaient l’école et l’université, des femmes siégeaient au Parlement, occupaient des postes de ministre, de juge ou d’enseignante. L’art, la politique, la culture et l’économie leur étaient accessibles. Ces droits leur ont été brutalement retirés.

En trois ans, les talibans ont publié au moins 52 décrets instaurant un régime confinant les femmes dans l’isolement et l’oppression et si, dans un premier temps, de très nombreux Etats se sont mobilisés pour leur apporter un soutien, leur offrir l’asile, aujourd’hui leur silence et leur inaction les abandonne à la merci de ceux qui sont devenus leurs tortionnaires.

De l’emprisonnement à la confiscation de biens

Le 21 août, en imposant de nouvelles lois interdisant aux femmes de parler, chanter, ou réciter de la poésie en public, tout en les obligeant à couvrir entièrement leur corps y compris le visage, les talibans ont encore durci ce que l’on se doit de qualifier d’«apartheid de genre». Ces mesures, promulguées par le ministère pour la Promotion de la vertu et la Prévention du vice, sous l’autorité du chef suprême Haibatullah Akhundzada, prévoient des sanctions allant de l’emprisonnement à la confiscation de biens.

L’article 13 de cette nouvelle loi définit précisément la tenue et le comportement des femmes dans l’espace public : «1. La couverture de tout le corps de la femme est obligatoire. 2. Cacher le visage de la femme par crainte de la tentation est nécessaire. 3. La voix des femmes (chanter à haute voix, réciter des chants religieux et lire des textes en public) est considérée comme une partie intime. 4. Les vêtements des femmes ne doivent pas être fins, courts ou moulants. 5. Les femmes musulmanes sont obligées de cacher leur corps et leur visage aux hommes étrangers. 6. Couvrir les femmes musulmanes et vertueuses face aux femmes infidèles et corrompues est obligatoire par crainte de la tentation. 7. Il est interdit pour les hommes adultes étrangers de regarder le corps et le visage des femmes, et vice versa. 8. Si une femme adulte sort de chez elle pour un besoin urgent, elle est obligée de couvrir sa voix, son visage et son corps.»

Nombre de prescriptions étaient déjà appliquées par les talibans. Des jeunes filles ont été arrêtées au cours de ces trois dernières années pour ne pas avoir respecté le port du voile et certaines d’entre elles ont disparu avant que leur corps sans vie soit retrouvé devant le domicile de leurs parents. Aujourd’hui, ces interdictions ont été élargies et ont valeur de loi.

Exprimer des préoccupations ne suffit plus

En parallèle à la répression systématique que subissent les femmes afghanes, le cas de Marzieh Hamidi, illustre la gravité de la situation. La taekwondoïste afghane a été la cible de menaces de mort en raison de son courage et de son engagement en faveur des droits des femmes dans un contexte de terreur imposé par les talibans. Son histoire met en lumière la persécution croissante envers les voix dissidentes et les activistes en Afghanistan. Ces menaces, dont elle est victime, témoignent d’une répression féroce visant à museler ceux et celles qui luttent pour la dignité et l’égalité. Depuis la prise de pouvoir des talibans, la situation des femmes en Afghanistan s’est détériorée, avec des décrets oppressifs et des atteintes graves à leurs droits fondamentaux.

Invisibilisées, les Afghanes sont désormais condamnées au mutisme.

Les lois adoptées par les talibans s’inscrivent dans une stratégie systématique visant à effacer les femmes de la sphère publique. Elles leur interdisent de voyager sans être accompagnées d’un homme de leur famille, renforçant ainsi les nombreuses restrictions déjà en place depuis le retour au pouvoir des talibans. Réduites à des rôles domestiques, elles sont exclues de toute participation active dans la société.

La communauté internationale ne peut continuer d’ignorer les souffrances des femmes afghanes. Exprimer des préoccupations lors de réunions diplomatiques avec les talibans ne suffit plus. Tenir des sommets comme celui de Doha (Qatar), où les talibans affichent des sourires aux côtés de diplomates étrangers tout en excluant les femmes des discussions, est une insulte faite aux Afghanes, aux valeurs que nous prétendons défendre.

Dénoncer les violations des droits humains

A l’heure où les rencontres se multiplient en vue de reconnaître le régime des talibans, les gouvernements doivent affirmer clairement que les violations des droits humains et notamment celles des droits des femmes ne seront plus tolérées. Que le respect des droits des femmes, leur participation à toutes les discussions internationales concernant leur pays sont un préalable non négociable à une quelconque légitimité internationale.

Soutenons les femmes Afghanes.

Ces trois dernières années, elles ont résisté, y compris en organisant des marches, malgré la répression, les arrestations, la torture et les meurtres. Nous ne pouvons continuer d’ignorer leur appel à les soutenir.

C’est pourquoi, nous appelons à une mobilisation urgente pour lutter contre ce régime oppressif et soutenir les femmes afghanes dans leur combat pour la dignité et la liberté. Nous appelons à une mobilisation générale des associations féministes, de défense des droits humains et de tous et toutes les humanistes.

Nous devons faire pression sur nos gouvernements, sur les instances internationales pour la reconnaissance de l’apartheid de genre en Afghanistan, obtenir l’ouverture d’enquêtes pour crimes contre l’humanité à l’encontre du régime des Talibans et l’adoption de sanctions pour que ces lois criminelles soient retirées.

Nous invitons à rejoindre la campagne «La voix des femmes n’est pas une honte», porter leurs voix confisquées en organisant des évènements dans l’espace public, en diffusant des messages de soutien aux femmes afghanes en postant des vidéos sur les réseaux sociaux. Enfin, suivre les actions des militantes afghanes en France.

Face au mutisme imposé aux Afghanes par les talibans, joignons nos voix pour relayer leur appel et enfin rompre le silence complice qui les condamne à une mort lente.

Premiers signataires : Zakia Khudadadi médaille de bronze au para-taekwondo au Jeux paralympiques de Paris 2024 Mursal Sayas écrivaine, journaliste et militante pour les droits des femmes Mortaza Behboudi journaliste franco-afghan Hamida Aman journaliste et fondatrice de Radio Bagum Alice Barbe cofondatrice de Singa, fondatrice de l’académie des Futurs Leaders Rana Gorgani artiste chorégraphique iranienne N’oublions pas l’Afghanistan collectif Darya Djavahery-Farsi présidente de Neda d’Iran.

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