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TRIBUNE

Occupation de la Gaîté lyrique : «Madame Hidalgo, nous en appelons à votre exigence morale»

Crise du logementdossier
L’équipe de l’établissement culturel parisien adresse une lettre ouverte à la maire de Paris dans laquelle elle lui demande de prendre en charge en urgence le relogement des 250 jeunes qui sont installés dans ses locaux depuis le 10 décembre.
Pris au piège d’un vide juridique, les membres du Collectif des jeunes du parc de Belleville sont installés dans l’établissement culturel depuis le 10 décembre. (Grégoire Campione /AFP)
publié le 17 décembre 2024 à 17h37

Madame la maire de Paris,

Comme vous le savez, depuis le 10 décembre, 250 personnes venues de tous horizons et sans solution de logement, rassemblées dans le Collectif des jeunes du parc de Belleville, occupent les espaces de la Gaîté lyrique, lieu culturel de la Ville de Paris. Nous déplorons le caractère subi et soudain de cette occupation, mais nous partageons la revendication de ces personnes visant à obtenir un toit, comme c’est leur droit.

Aujourd’hui, au bout d’une semaine, aucune solution n’est envisagée, les incidents se multiplient, la fatigue et l’inadaptation des espaces pèsent chaque jour davantage et créent de multiples tensions. Nous déplorons cette absence de dialogue entre les services de l’Etat et ceux de la Ville de Paris. Cette inaction met clairement en danger les personnes hébergées et laisse les équipes affronter seules la situation, sans aucun calendrier de résolution. En aucun cas la Gaîté lyrique n’est compétente et ne dispose des espaces et des moyens sanitaires pour offrir une solution d’hébergement dans le respect et la dignité humaine.

Les 250 jeunes sont toujours à la Gaîté lyrique, dans des conditions d’accueil plus qu’inadaptées malgré tout le concours des équipes du lieu et des associations qui font de leur mieux pour leur porter assistance, vivres et suivi médical. Faut-il que les autorités compétentes soient à ce point inopérantes et incapables de s’entendre pour que la société civile, en l’espèce représentée par des acteurs culturels, soit contrainte de gérer seule cette situation ? Quel constat amer de voir ainsi dans une impasse, l’équipe d’un lieu culturel qui travaille au quotidien au service de la Ville de Paris, pour donner tout son sens à cet établissement, pour l’intérêt général, pour défendre les valeurs d’égalité, d’hospitalité, de respect des personnes.

La Gaîté lyrique est seule, et forcée de choisir entre son obligation réglementaire en tant que concessionnaire de ce lieu et son devoir moral, celui de ne pas rejeter ces personnes à la rue, au milieu du mois de décembre, alors que les températures avoisinent 0°. C’est pour nous impensable. Faut-il attendre que la situation se dégrade encore davantage, ou qu’il y ait des victimes pour que cesse l’inaction ?

Car la question n’est pas «logistique». Nous savons, et les équipes de la mairie de Paris nous l’ont confirmé à maintes reprises, qu’il y a des lieux pour accueillir ces jeunes, des lycées vides, des gymnases mobilisables. La capitale ne manque pas de locaux vacants. Et comment imaginer qu’elle ne serait pas en mesure d’héberger en urgence 250 jeunes quand elle a su le faire pour accueillir avec brio plus de 11 millions de personnes il y a à peine trois mois, pour les Jeux olympiques et paralympiques ?

Non, la question n’est pas logistique. Elle est politique. Et nous entendons chaque jour le même discours : «la pression n’est pas assez forte sur l’Etat», «le rapport de force n’est pas assez tendu», «il faut faire craquer l’Etat qui ne prend pas ses responsabilités». L’Etat, lui, dit la même chose, renvoie la balle à la Ville de Paris et nous avons perdu espoir dans le fait qu’il intervienne pour trouver une solution de relogement.

Chacun finit par concéder que ces jeunes hébergés à la Gaîté lyrique ont le malheur d’être, de constituer même… un vide juridique. Ils ne sont ni sous la responsabilité – on n’ose dire la protection – de l’Etat, ni sous celle de la mairie de Paris. Alors les deux parties se rejettent la balle, attendant que l’autre cède. L’heure n’est plus de savoir qui a raison et qui a tort. Ce n’est pas à votre responsabilité juridique que l’équipe de la Gaîté lyrique fait appel, madame la maire de Paris, mais à votre exigence morale.

Signataires :

Juliette Donadieu, directrice générale de la Gaîté lyrique ; Vincent Carry, directeur général d’Arty Farty & président de la Gaîté lyrique ; Boris Razon, directeur éditorial Arte France ; Alizée Lozac’hmeur, co-fondatrice de Makesense ; Benoît Hamon, directeur général Singa Global ; Françoise Nyssen, présidente du conseil de surveillance d’Actes sud ; Anne-Sylvie Bameule, présidente du directoire d’Actes sud

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