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Libération
TRIBUNE

«Open Gaza Now», par Dominique de Villepin

Conflit israélo-palestiniendossier
Dans une tribune à «Libération», l’ancien Premier ministre demande au gouvernement israélien d’ouvrir les portes de Gaza afin que les journalistes et les ONG puissent faire la lumière sur le désastre humanitaire en cours.
Aux urgences de l'hôpital Al-Nasser à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 juillet 2024. (BASHAR TALEB/AFP)
par Dominique de Villepin, ancien Premier ministre
publié le 21 novembre 2024 à 9h30

La situation à Gaza n’est pas seulement une tragédie humanitaire, mais un défi moral, juridique et politique pour toute la communauté internationale. Face à l’ampleur des destructions, aux souffrances de millions de civils et au risque de génocide évoqué par la Cour internationale de justice au début de l’année, nous avons le droit et le devoir de savoir.

Le bilan humain est insoutenable : plus de 2 millions de personnes déplacées, ayant dû fuir en moyenne cinq fois dans les derniers mois, profondément traumatisées par les bombardements intensifs. Plus de 45 000 morts, dont un très grand nombre de femmes et d’enfants, et plus de 20 000 enfants handicapés à vie à la suite de blessures graves ou victimes d’amputation.

Presque toutes les écoles, hôpitaux, bibliothèques, lieux de cultes, bâtiments historiques, et même les cimetières détruits, symboles d’une mémoire collective anéantie. Aujourd’hui, 400 000 civils sont piégés dans le nord de Gaza, sans accès humanitaire.

Nul ne saurait oublier le sort des otages encore détenus. Nul ne saurait ignorer la barbarie du Hamas qui s’est déchaînée le 7 octobre 2023, déclenchant un cycle de représailles sans fin. Des voix s’élèvent dans le monde entier : au sein du monde arabe, dans le Sud Global, au Vatican et dans nos universités.

Le silence et l’inaction menacent non seulement l’image de l’Occident, mais engendrent un mépris durable à son égard. Benyamin Nétanyahou, qui prétend livrer ce combat au nom de la civilisation, doit répondre à ces inquiétudes avec clarté et transparence. La communauté internationale doit refuser de détourner le regard. L’ignorance ne peut plus être une excuse.

Ce devoir de vérité est impératif pour une démocratie comme Israël

Nous devons faire la lumière sur ce qui se passe réellement derrière les murs de Gaza. L’obscurité nourrit les crimes et justifie les dénis. Plus encore, quand les journalistes meurent, voire sont directement ciblés, comme l’indique Reporters sans frontières. Les preuves des destructions et des violations du droit international s’accumulent, mais la vérité reste cachée derrière un blocus imposé. Chaque jour d’inaction nourrit l’impunité et nous éloigne de la justice.

Ce devoir de vérité est encore plus impératif pour une démocratie comme Israël. La liberté d’informer est un pilier pour toute démocratie. Cacher la réalité ou empêcher la lumière de faire jour trahit les principes mêmes qui la fondent. Nombreux sont les Israéliens eux-mêmes qui s’interrogent et dénoncent la situation.

La convention de 1948 nous impose de prévenir avant qu’il ne soit trop tard. L’histoire nous enseigne que les premiers signes d’une tragédie sont souvent ignorés ou minimisés. Ouvrir Gaza aujourd’hui, c’est faire preuve de lucidité et de courage pour évaluer la situation et garantir que le droit soit respecté. C’est aussi mobiliser les consciences face à une tragédie qui va hanter la mémoire des générations futures.

Refuser d’agir aujourd’hui, c’est abandonner notre humanité commune

Il est temps pour la communauté internationale de reprendre l’initiative. Les deux mandats d’arrêt lancés par la CPI à l’encontre du Premier ministre israélien et son ex-ministre de la Défense, pour «crimes contre l’humanité et crimes de guerre», ainsi que contre le chef de la branche armée du Hamas marquent une étape importante pour la justice internationale avec le risque d’une polarisation des esprits et d’un durcissement supplémentaire des autorités israéliennes. Ouvrir Gaza à des observateurs indépendants reste un impératif pour permettre aux journalistes, aux organisations humanitaires et aux instances internationales de dire la réalité et de témoigner. C’est donner aux citoyens du monde la possibilité de comprendre l’urgence de la situation et d’exiger des actions immédiates. La désinformation ou l’absence d’information ne doivent pas servir de prétextes à notre inaction.

Refuser d’agir aujourd’hui, c’est abandonner notre humanité commune. Le droit et le devoir de savoir ne sont pas des options. Ce sont les piliers de la justice, de la dignité humaine et de la paix. «Open Gaza Now» n’est pas une lubie ni une demande extrême, c’est une exigence essentielle. Face à l’urgence, il est de notre responsabilité collective de briser le cycle de la violence qui précipite la division du monde entre l’Occident et le Sud Global, au motif d’un «deux poids, deux mesures», dont les conséquences promettent d’être catastrophiques. Le gouvernement israélien doit ouvrir les portes de Gaza pour prouver qu’il est à la hauteur des principes qu’il revendique.

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