Je me souviens de cette artiste qui tentait de se réapproprier ses souvenirs, de les remonter selon l’histoire qu’elle voulait se raconter d’elle-même. Depuis sa naissance, son père a filmé la moindre scène de la vie familiale : les jours de fête, les rentrées de classe, les dents tombées, mais aussi les matins tristes, les jours de fièvre, les repas hâtifs. Chaque séquence était ensuite montée en un film court, expurgeant les flous, les bruits, les contre-jours. Puis, la famille regardait ces petits films, riait et s’émouvait de ces instants parfois anodins. Complices et réuni·es dans et par un esprit de famille.
Plus tard, le père réalisa qu’il avait fabriqué les souvenirs de chacun·e, selon ses cadrages, ses choix, ses omissions. Devenue adulte et artiste, la jeune femme tente de déconstruire ce récit pour en inventer d’autres. Elle démonte et remonte le film de sa vie, en fait un matériau de fiction. En fixant le temps, le père n’avait pas seulement archivé des moments de vie, il les avait écrits. Désormais, l’artiste fait rejouer à sa famille leur propre rôle, dans une forme de reenactment [«reconstitution»] qui déplace les regards, mais aussi, peut-être, les expériences de vie.
«Etre un spectacle pour les parents»
L’artiste Jade Jouvin résume la chose ainsi : «On nous demande d’être sur scène et d’être un spectacle pour les parents. Ensuite, c’est comme si l’on rejouait cela en permanence : un spectaculaire est inscrit en nous, et on peut le reconvoquer.»
Lorsque la photographie émergea au XIXe