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TRIBUNE

Philosopher pour ne pas laisser gagner la noirceur, par Jean-Baptiste Brenet

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Le spécialiste de la philosophie arabe et latine l’appréhende par son côté obscur. Philosopher consiste à ne pas seulement voir «dans» le noir, mais voir le noir même : des ténèbres à la phosphorescence qui est une affaire de lutte, de pouvoir.
(Simon Roussin/Libération)
par Jean-Baptiste Brenet, professeur de philosophie arabe à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
publié le 15 juin 2024 à 9h50

J’aime beaucoup le soleil, surtout celui de la Méditerranée, de l’Italie, mais pour dire un mot de la philosophie, je parlerai un peu de la nuit ou de l’obscurité. L’état du monde et l’actualité, si sombres, m’y poussent.

L’idée est simple, même si elle procède d’un renversement. La philosophie, c’est une forme de pensée (c’est-à-dire une façon, intelligiblement, de se rapporter aux choses, aux autres, à soi, pour comprendre et dire ce que c’est, pour y faire éventuellement écho, ou bien pour y résister, tâcher d’y remédier autant qu’on le peut) ; mais tout cela étant flou, on cherche des comparaisons, et l’une d’elles, la plus courante, c’est celle de la vision : la philosophie, cela consiste à «voir».

C’est aussi ancien que Platon, bien sûr. Ou qu’Aristote, je préfère. Non pas seulement par familiarité, mais parce que l’histoire l’a voulu ainsi, et que c’est Aristote qui sera sur des siècles, dans les mondes arabe, juif et latin, la référence absolue de la philosophie.

Or, sur la vision, Aristote nous dit deux choses remarquables. La première, c’est qu’on voit le visible et le non-visible. Qu’on n’oublie pas ce second pan, un peu inattendu, déroutant. Cela vaut pour tous les sens, en vérité, par