Malgré une opposition quasi unanime de l’ensemble de la communauté éducative, l’ancien ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a fait le choix en 2019 d’imposer une refonte du lycée général et technologique qui suscite aujourd’hui une grande souffrance, aussi bien du côté des élèves que de leurs enseignant·e·s. Le dernier avatar de cette réforme consiste à faire passer les épreuves de spécialités au mois de mars. Les deux épreuves auxquelles se confronteront nos élèves de terminale entre lundi et mercredi compteront pour 32 % de leur note finale et, surtout, seront décisives dans l’étude des dossiers sur Parcoursup transformant le bac en instrument de sélection qui n’ouvre plus, mais bloque l’accès au supérieur.
Ce nouveau calendrier des épreuves du bac, anciennement positionnées en juin, prive nos élèves de trois mois de formation. Concrètement, trois mois de cours en moins, cela signifie : avancer à marche forcée, renoncer aux temps d’échange si savoureux avec nos élèves afin d’approfondir leurs savoirs, renoncer aux sorties scolaires permettant d’élargir leurs horizons, ne pas pouvoir faire de la remédiation, adopter une pédagogie verticale qui ne permet pas une réelle appropriation des savoirs et des méthodes. Certain·e·s d’entre nous, pour finir les programmes dans les délais impartis, ont été réduits à distribuer des polycopiés en guise de cours. Le calendrier du bac sur lequel le ministre Pap Ndiaye refuse de revenir nous conduit à maltraiter nos élèves, tout particulièrement celles et ceux qui sont les plus éloigné·e·s de la culture scolaire. Ce sont aussi les plus fragiles socialement. En les privant de trois mois pour apprendre et progresser, nous présentons ces élèves au bac alors qu’ils n’auront pas eu le temps de s’y préparer, d’assimiler contenus et méthodes de travail. Ce n’est pas la journée de révision que le gouvernement leur a accordée à la dernière minute le 17 mars qui masquera la réalité de cette impréparation.
Un lycée du tri social
Qu’adviendra-t-il de nos élèves de terminale au printemps ? Comment peut-on penser que des jeunes de 17 ans, une fois Parcoursup et leurs épreuves de spécialités passées, reviendront docilement en classe finir un «programme de contrôle continu» et préparer leur grand oral ?
Le lycée dans lequel nous travaillons n’est plus un espace de formation, de réflexion et d’émancipation. Il est devenu un lycée du tri social, subordonné à la logique de Parcoursup, qui se déploie dès la classe de seconde avec le choix des spécialités et qui accroît les inégalités et le déterminisme scolaires.
Mais ce n’est pas tout. Il y a quelques semaines, en même temps que nos collègues de nombreux lycées situés dans des quartiers populaires du pays, nous avons appris de notre rectorat que l’an prochain nous disposerons de moins d’heures de cours pour accompagner un nombre d’élèves inchangé. Concrètement, nous devrons, à la rentrée prochaine, accueillir jusqu’à 35 élèves dans nos salles, qui le plus souvent ne disposent même pas de cette capacité d’accueil. Alors que certains de nos élèves dorment dans des voitures, vivent dans des hôtels sociaux, sont en situation de handicap ou ont des existences marquées par la précarité, l’école de la République est incapable de les accueillir dignement. Plus d’élèves par classe, c’est nous mettre dans l’incapacité d’être attentif à chacune et chacun d’entre eux, de les accompagner au plus près pour leur permettre de progresser. Comme avec le bac en mars, cette politique d’économie budgétaire signe l’abandon des élèves les plus vulnérables, celles et ceux qui ont besoin de plus d’attention pour réussir.
Nous sommes en colère
Enfin, c’est dans ce contexte que nous avons appris du gouvernement qu’il nous faudra travailler au minimum jusqu’à 64 ans pour partir à la retraite. Nous devrons travailler plus longtemps, alors que nous sommes confronté·e·s à une dégradation sans précédent de nos conditions de travail. Ces deux années de travail supplémentaires que le gouvernement veut imposer à celles et ceux qui exercent les métiers les plus pénibles heurtent aussi les familles de nos élèves : agents d’entretien, femmes de ménage, caristes, aides-soignantes, infirmières, aides à domicile, ouvriers de la logistique et du bâtiment, etc., tou·te·s ces indispensables dont les métiers sont si précarisés qu’ils ne permettent pas toujours de se défendre socialement et politiquement. C’est aussi à elles et eux que nous pensons lorsque nos grèves nous conduisent à déserter nos salles de cours, ainsi qu’à nos collègues contractuels, particulièrement précarisés par cette réforme et toujours plus nombreux dans notre académie.
Nous sommes en colère. Devant l’absence d’écoute, il ne nous reste que la grève pour lancer l’alerte sur la dégradation du service public de l’éducation auquel nous sommes profondément attaché·e·s.
Monsieur le ministre, vous qui avez à de nombreuses reprises proclamé votre volonté de réduire les inégalités scolaires, allez-vous mettre fin à ce scandale du bac en mars et rétablir les épreuves en juin ? Allez-vous rendre à nos lycées populaires les moyens humains et matériels nécessaires à la réussite et au bien-être de nos élèves ?
Cette réalité, après tant de témoignages d’enseignant·e·s, les retours des associations disciplinaires, des syndicats, et même des inspecteurs et des chefs d’établissement, vous ne pouvez l’ignorer. Il est temps de prendre vos responsabilités, de nous écouter et de remettre l’idéal d’égalité au cœur de nos lycées, en commençant par rétablir le bac en juin.