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Libération
TRIBUNE

Redonner leur nom aux migrants disparus

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Dans la Manche, en Méditerranée ou à la frontière espagnole, la politique européenne produit des corps sans nom, dénonce l’écrivaine Marie Cosnay qui milite auprès d’associations pour l’accueil des migrants. Une mission peu à peu remplacée par la gestion quotidienne et tragique des disparitions.
L'activiste Maria Ouko estime qu'entre le 28 mai et le 17 octobre 626 personnes sont mortes (corps retrouvés ou pas) et 546 disparues (bateaux fantômes) sur la route atlantique. (AP)
par Marie Cosnay, Ecrivaine
publié le 28 novembre 2021 à 10h21

Après une dérive de dix-neuf jours sur l’océan atlantique, cette femme, survivante, renvoyée au Maroc, raconte : elle a vu un à un mourir les enfants qui étaient sur le bateau, elle a bu son urine, jour après jour, pour éviter l’eau de mer. Elle repartira. Elle n’a pas le choix. Elle a d’autant moins le choix que les frontières sont fermées, on les franchit au prix de la vie, elles sont un enjeu énorme. Ce monsieur est à Laâyoune : il a perdu sur l’eau sa femme et son fils cadet. L’aîné, 5 ans, est arrivé seul, il est protégé aux Canaries, il est aujourd’hui la seule raison de vivre de son père. Ils sont séparés par cent-cinquante trois miles dans l’Atlantique et par bien plus que ça. Quant au bateau retrouvé au Cap-Vert le 25 octobre, parti de Dakhla (Sahara-Occidental) vingt jours auparavant, il ne portait plus que trois corps dans sa coque. Tous les adolescents sont morts brûlés de sel et de soleil. Tout un village, celui d’Abu al-Jaad, au Maroc, cherche, dans l’air, au ciel, dans l’eau, ses enfants. Combien étaient-ils, ceux qui ont embarqué sur le bateau de la mort ? Les habitants d’Abu al-Jaad ne le savent pas exactement.

La politique européenne produit des corps, sans noms. Elle produit des noms, sans corps – des disparus. Des fantômes, dont le deuil est impossible à porter (1).

Est-ce qu’on peut imagine