Menu
Libération
TRIBUNE

Retour de la «Star Academy» ou de «Sex and the City» : plus nostalgique la vie

Une épidémie nostalgique de consommations de séries télé, de comédies musicales et de télé-réalité sévit chez les ados, friands d’un passé qu’ils n’ont souvent même pas connu.
Photo issue de la série «And Just Like That». (HBO Max. Salto)
par Rémi Giordano
publié le 28 novembre 2023 à 18h49

Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la cinquième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 29 novembre. Retrouvez tous les articles ici.

Quel est le lien entre Taylor Swift et Marcel Proust ?

Leur goût partagé pour les madeleines ? En quelque sorte… Ce qui passionne Marcel et Taytay (pour les intimes), c’est leur goût profond pour la nostalgie, leur propre nostalgie, le sentiment puissant qui émane de la recollection de leurs expériences. En effet, le romancier français a consacré 2 400 pages à la réinvention de ses souvenirs. Quant à la chanteuse américaine, elle a décidé de ressortir tous ses albums. Pas de variations, les chansons, à peu de chose près, sont enregistrées de la même manière que dans leur version originelle, et les fans s’arrachent ses Taylor’s Version («TV» pour les «swifties») sur tous les supports ; K7 et vinyles compris (quand on parle de nostalgie…).

Alors que plus d’un siècle sépare l’auteur et la pop star, le sel de leurs textes fait écho à nos propres expériences, leurs réminiscences renvoient à notre mémoire, leurs souvenirs se confondent aux nôtres. Grâce à eux, nous ressentons de la nostalgie pour une époque que nous n’avons pas vécue ou pour des ruptures amoureuses qui n’ont pas brisé notre cœur. N’y a-t-il pas plus puissant que le goût d’une madeleine pour traverser les salons de la duchesse de Guermantes, qu’une chanson d’amour triste comme All Too Well pour se remémorer notre première romance, qu’une émission de télévision pour ne jamais oublier qu’on portait d’affreux pantalons à carreaux au collège ?

Mariah Carey dégelée chaque année

Si la nostalgie, qui désignait à l’origine le mal du pays qui frappait les soldats éloignés de leurs patries, n’est pas un phénomène récent, elle est devenue d’une grande nécessité pour le public. La jeunesse se fascine aujourd’hui pour les produits obsolètes de ma propre puberté – l’art de faire du neuf avec du vieux. Lénie, la plus jeune candidate de la saison 2 du reboot de la Star Academy – avec un Nikos Aliagas qui semble plus frais qu’à l’époque (des pantalons à carreaux laids, donc) – n’était pas née lors du lancement du télé-crochet culte en octobre 2001 et évoque pourtant avec émotion ses souvenirs de l’émission.

Les adolescents constituent bien la cible première de ce retour à un temps que les moins de 20 ans ne peuvent définitivement pas connaître. Se rendent-ils au palais des Congrès avec leurs parents fêter les 25 ans de la comédie musicale Notre-Dame de Paris, anniversaire célébré dans les costumes d’origine d’Hélène Ségara rapiécés pour l’occasion (ils avaient pourtant bien réussi à dépoussiérer Starmania…) ? Pas étonnant d’apprendre non plus qu’une série mettant en scène la production de la première émission de télé-réalité française, Loft Story, sera prochainement disponible sur Amazon Prime. Elle se nommera Trash… Ses audiences surpasseront-elles celles du reboot de Plus belle la vie de TF1 et le retour de l’émission Popstars ?

Alors que la chanteuse Lorie annonce son come-back, cette épidémie de nostalgie ne touche pas seulement la France. Depuis quelques années, dès le mois de novembre, on dégèle littéralement Mariah Carey (à en juger une vidéo publiée sur son Instagram le 1er novembre à minuit pile et devenue virale) pour qu’elle accompagne nos fêtes de fin d’année avec son tube All I Want for Christmas Is You et remplace l’image d’Epinal du père Noël Coca-Cola avec sa grande barbe et ses lunettes. Madonna, de passage à Paris au début du mois, propose une tournée sous forme de célébration de ses 40 ans de carrière, avec seins (i) coniques à la clé. Enfin, sur les réseaux sociaux fleurissent des posts associés au #10yearchallenge qui consiste à poster une photo de nous à dix ans d’intervalles et des filtres qui permettent aux vidéos publiées d’avoir le grain d’un enregistrement de caméscope des familles des années 90.

Idéalisation d’une époque

Face à ce fleurissement sisyphéen, des recherches (sérieuses ?) ont été menées et il semblerait que la pandémie de Covid-19 et l’éco-anxiété soient des facteurs du récent regain d’intérêt pour la consommation de médias nostalgiques. Un article du New York Times de mars 2023 cite à ce sujet Krystine Batcho, professeure de psychologie aux Etats-Unis : «Les périodes éprouvantes peuvent déclencher la nostalgie, car nous souvenir de ce que nous avons été nous aide à percevoir la continuité de notre identité.» Mais comment expliquer l’apaisement procuré par le refuge dans un passé qui ne nous appartient pas ?

Peut-être est-il plus facile d’idéaliser une époque que nous n’avons pas traversée plutôt que nos propres souvenirs qui sont souvent teintés de mélancolie ? Se projeter dans un passé inventé entretient l’idée que nous pouvons y faire peau neuve, nous débarrasser de ce qui nous a conduits à un présent que notre futur ne pourrait ignorer. Mais attention, à trop se baigner dans les eaux d’autrefois, on peut se noyer dans leurs courants néfastes. «I couldn’t help but wonder» (comme le disait Carrie Bradshaw, l’héroïne de Sex and The City, la série culte des années 90-2000 dont on a pu découvrir le revival déprimé et déprimant, And Just Like That). Qu’en est-il de la prise de risque créative et de l’innovation si nous recyclons inlassablement ce qui a fait recette dans le passé ? Empêchons donc Mariah de décongeler chaque hiver, et voyons si la madeleine de l’été a un véritable goût de nouveauté.