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TRIBUNE

«Submersion» migratoire : les métaphores de l’eau, un sujet glissant

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En employant cette image qui traduit d’ordinaire une expérience émotionnelle puissante et intime, pour qualifier le «sentiment des Français» à propos de l’immigration, François Bayrou fait de la rhétorique pour donner l’illusion que cette intensité tragique existe.
Le Premier ministre François Bayrou assiste aux questions à la session gouvernementale à l'Assemblée nationale, le 28 janvier 2025. (Gonzalo Fuentes/REUTERS)
par Julie Neveux, linguiste
publié le 29 janvier 2025 à 15h46

Pourquoi l’expression de Bayrou, «sentiment de submersion», indigne-t-elle autant à gauche qu’elle plaît à droite ? Et quel est le rapport entre métaphore, sentiment, et formule ?

Dans la vie privée, on fait des métaphores spontanément, quand on tente de décrire ce qu’on ressent, de le transmettre. Les métaphores les plus expressives, qui transmettent le mieux nos émotions, sont les plus créatives, celles qui sont le moins installées dans le lexique. «Submerger», en emploi métaphorique spontané, c’est très fort. Il se passe quelque chose d’atroce, d’injuste, on est submergé de douleur, de colère, on se noie dans ses émotions, on plonge. Les métaphores de l’eau sont violentes, elles correspondent, en emploi spontané, à des expériences émotionnelles puissantes, et non désirables. Parce que les métaphores sont aussi, souvent, des appréciations, voire des jugements déguisés ; elles évaluent en bien ou mal. «T’es un ange», c’est bien, «t’es un cochon», c’est mal.

Plus l’expression s’installe, et se met en «collocation», c’est-à-dire au voisinage toujours des mêmes mots, plus elle se fige, moins elle est expressive : vous pourrez l’employer pour dire une expérience moins intense ; c’est le cas pour la construction au passif «être submergé de travail», assez fréquente ; un ami me trouve pâlotte, il me dit : «Ça va pas, tu dors plus ? – Plus assez, je réponds, je suis submergée de travail» ; là encore, la métaphore traduit un sentiment, une micropanique, et une appréciation : j