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TRIBUNE

Trop d’enfants meurent de cancers, et nous devons nous donner les moyens de lutter

Les fonds dédiés à la recherche sur les cancers pédiatriques restent insuffisants, et il est essentiel de créer un programme d’investissement spécifique pour accélérer les avancées dans le domaine, soutient Stéphane Vedrenne, président de Grandir sans cancer, soutenu par des dizaines de députés comme Olivier Faure, François Ruffin ou Paul Christophe.
500 enfants par an décèdent d’un cancer en France et 6 000 en Europe, soit l’équivalent de 240 classes d’école. (Christophe Archambault/AFP)
par Stéphane Vedrenne, cofondateur de l’association Eva pour la vie et président de la fédération Grandir Sans Cancer
publié le 10 septembre 2024 à 11h00

«Si mon cancer repart, je vais mourir.» Ce sont les mots de Mélissa, diagnostiquée à 2 ans d’une tumeur du tronc cérébral, un cancer pédiatrique du cerveau qui a cessé de croître sans traitement. Une situation aussi rarissime qu’inespérée : il n’existe aucun traitement curatif contre ce cancer qui n’affecte que des enfants, et qui les emporte quasiment tous.

Aujourd’hui, Mélissa a 24 ans, mais elle a peur pour son avenir. Elle constate, comme nous, que 500 enfants par an décèdent d’un cancer en France et 6 000 en Europe, soit l’équivalent de 240 classes d’école. C’est la deuxième cause de mortalité des enfants après les accidents, et la maladie la plus meurtrière pour eux. Et le taux de survie reste particulièrement bas sur les cancers spécifiques à l’enfant. Une situation imprévisible et injuste pour des personnes qui ne boivent pas, ne fument pas et ne se droguent pas.

Certes, un réel effort a été effectué par le gouvernement français afin d’accélérer la recherche fondamentale – c’est-à-dire la recherche en laboratoire – sur les cancers de l’enfant.

Fin 2018, suite à la mobilisation de la fédération Grandir sans cancer, qui regroupe une centaine d’associations, et de parlementaires engagés, le gouvernement a consenti à dédier 5 millions d’euros par an à la recherche fondamentale sur les cancers de l’enfant. Fin 2021, 20 millions d’euros ont été ajoutés, d’une façon malheureusement ponctuelle, par le biais de la loi de finances. Ces moyens ont permis à l’Institut national du cancer de mettre en place des appels à projets ambitieux, d’améliorer l’investissement humain et matériel et de structurer les équipes de recherche œuvrant sur les cancers de l’enfant. L’accélération de la connaissance scientifique de ces maladies n’aurait jamais été possible sans ces moyens-là.

Améliorer la guérison à l’issue d’essais cliniques dédiés

Cependant, les progrès de recherche ainsi obtenus aboutiront à l’amélioration de la guérison seulement si cette dynamique s’étend au développement de traitements et d’essais cliniques dédiés. Or à ce jour, s’il existe un programme hospitalier de recherche clinique publique sur les cancers (PHRC-K), une nette majorité des projets retenus bénéficient aux adultes atteints de cancers les plus courants : entre 2018 et 2022, sur 177 projets financés, seuls 11 concernaient l’enfant.

Par ailleurs, l’effort consenti par les grands industriels du médicament, dans le développement de traitements pour les enfants atteints de cancers, reste très faible. Le taux de survie actuel est essentiellement lié au fait que certains cancers pédiatriques peuvent se soigner avec des traitements pensés pour l’adulte, très souvent au prix d’effets secondaires importants. Depuis 2009, sur 150 médicaments anticancéreux développés pour l’adulte, seuls 16 ont été autorisés pour une indication spécifique de cancer pédiatrique. Mais ils ne concernent que des tumeurs responsables de moins de 4 % des décès par cancer chez les enfants. Sur cette même période, aucun traitement n’a été spécifiquement développé pour les enfants atteints de cancers les plus mortels. Pourtant, le «règlement pédiatrique européen» a permis à plusieurs industriels de bénéficier de récompenses impactantes sur leur chiffre d’affaires, tels que des allongements de durée de brevets exclusifs.

Face à cette situation, nous ne pouvons accepter de regarder autant d’enfants mourir sans agir, dans un pays qui en a les moyens. C’est pourquoi nous proposons :

- De revaloriser le fonds public dédié à la recherche sur les cancers pédiatriques en le portant à 25 millions d’euros par an au lieu de 5 millions d’euros, afin d’y inclure la recherche clinique et de permettre la création d’un «PHRCP» (programme hospitalier de recherche clinique pédiatrique) dédié et adapté aux réalités de l’oncologie pédiatrique, avec notamment des populations de patients plus réduites.

- De créer un fonds d’investissement visant à permettre le développement de start-ups du médicament pédiatrique, en priorisant les cancers et les pathologies de mauvais pronostic. Celui-ci pourrait être assuré par la Banque publique d’investissement (BPI) France, par le biais d’un volet «santé de l’enfant». L’étude d’un établissement public du médicament, complémentaire aux acteurs existants, pourrait également être étudiée.

La mise en place de telles mesures serait à la fois humaine et cohérente, tant au niveau économique que sanitaire : si à ce jour, il faut attendre «qu’un traitement soit développé pour l’adulte et espérer qu’il ait aussi un effet sur l’enfant atteint d’un cancer», il serait probable que les recherches et traitements développés pour améliorer la santé de l’enfant aient également un impact chez les adultes !

La France, acteur majeur en termes de recherche, souvent leader en termes de justice sociale, peut aussi, à travers ces mesures, être un exemple européen dans sa façon de protéger et de soigner ceux qui nous rassemblent tous, quelles que soient nos origines culturelles et sociales ou nos idéaux politiques : la vie des enfants.

Principaux signataires :

Associations et professionnels de santé : Tous unis pour Mélissa (Marseille), Association Laurette Fugain (Paris), Aidons Marina (Lyon), Constance la petite guerrière astronaute (Toulouse), LEA (Nice), Le Sourire de Lucie (Cambrai), Stop aux cancers de nos enfants (Nantes), Groupe Santé Prévention Fédération PEEP (Paris), Petit cœur de beurre, Rires De Héros (Besançon), Running Pour l’Espoir (Paris), Wonder Augustine (Lille), Pr Marlène Pasquet (hémato-immunologiste au CHU de Toulouse), Dr Catherine Devoldere, oncopédiatre au CHU d’Amiens, Dr Hélène Pizzut (médecin et chef de pôle urgences au CH de Montauban), Dr Sébastien Apcher (Institut Gustave Roussy à Villejuif), Dr Laurent Turchi (Ingénieur de Recherche CHU de Nice & IBV), Dr Elise Quillent, médecin.

Député·es : Paul Christophe, président de la commission des affaires sociales, (Nord, HOR), Vincent Thiébaut, (Bas-Rhin, HOR), Virginie Duby-Muller, (Haute-Savoie, DR), Michel Lauzzana, (Lot-et-Garonne, ENS), Philippe Fait, (Pas-de-Calais, ENS), Charlotte Goetschy-Bolognese, (Ancienne Députée du Haut-Rhin, ENS), François Ruffin, (Somme, Ecologiste et social), Sandrine Josso, (Loire-Atlantique, Les Démocrates), Karine Lebon, (La Réunion, Gauche Démocrate Républicaine), Christine Pirès Beaune, (Puy-de-Dôme, Socialistes), Pierre Cazeneuve, Vice-président du groupe Ensemble pour la République (Hauts-de-Seine, EPR), André Chassaigne, Président du groupe GDR (Puy de Dôme, GDR), Arthur Delaporte, (Calvados, SOC), Olivier Faure, (Seine-et-Marne, SOC), Sébastien PEYTAVIE, (Dordogne, Ecologiste et social), Cyrielle Chatelain, présidente du Groupe écologique et social (Isère), Alexis Corbière, (Seine-Saint-Denis, Ecologiste et social), Agnès Firmin-Le Bodo, ancienne ministre (Seine Maritime, HOR), Michel Herbillon, (Val-de-Marne, Droite Républicaine), Emilie Bonnivard, (Savoie, DR), Maryse Carrère, sénatrice et présidente du groupe Rassemblement démocratique social européen (Hautes-Pyrénées).

La liste complète des signataires est disponible ici.

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