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TRIBUNE

Vendanges : il est urgent de rétablir le repos hebdomadaire des saisonniers

En juillet, pour les JO, un nouveau décret a facilité le retrait de ce jour de repos pour des raisons de rentabilité, ce qui accroît les risques pour les travailleurs. Les acteurs du monde agricole et vinicole souhaitent l’adoption de mesures qui concilient protection des personnes et exigences économiques, à l’instar des ouvriers du BTP.
Lors des vendanges à Irancy (Yonne), en septembre 2019. (Theo Saffroy/Hans Lucas. AFP)
par le réseau El Eco Saisonnier
publié le 13 septembre 2024 à 11h40

L’année dernière, six vendangeurs et vendangeuses sont décédés (deux dans le Rhône et quatre dans la Marne), dans un contexte de travail par fortes chaleurs et de dérogation au jour de repos hebdomadaire. Ces morts n’ont malheureusement pas pesé lourd face à la pression exercée, au début de cette année, par certains syndicats patronaux agricoles. Ces derniers, en refusant d’inclure les «hauts niveaux d’exigences sociales, sanitaires et environnementales» dans la production française, ont affaibli les droits des ouvriers et ouvrières agricoles.

Le 9 juillet, seulement deux jours après la défaite de l’ex-majorité aux législatives, paraît au Journal officiel le dernier décret «Attal». Sur reprise d’une idée du Rassemblement national et de Les Républicains, ce texte autorise la suppression du repos hebdomadaire obligatoire des travailleurs et travailleuses agricoles «une fois au plus sur une période de trente jours», dans le cadre des récoltes manuelles relevant d’une appellation d’origine contrôlée ou d’une indication géographique protégée. Ce coup porte atteinte à un droit fondamental qui est inscrit dans la loi française depuis 1906, et qui est reconnu par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que par l’Organisation internationale du travail (OIT). Et ceci constitue donc une grave mise en péril de la santé des travailleurs et travailleuses.

Déroger devient la norme ?

Jusqu’à présent, la suppression du repos hebdomadaire nécessitait une dérogation spécifique accordée par l’inspection du travail. Désormais, cette décision repose uniquement sur la volonté de l’employeur·se, sans obligation de justification, sans demande préalable et hors «circonstances exceptionnelles» auparavant exigées. Le caractère périssable des récoltes constitue un motif suffisant aux yeux des promoteurs de cette mesure. Les risques pour les employés et employées, eux, sont ignorés, tout comme les alternatives possibles, telles que le chevauchement d’équipes qui permettrait le repos des personnes, tout en maintenant l’activité le dimanche.

Dans un contexte où la durée hebdomadaire de travail peut déjà atteindre 72 heures par dérogation (1), notamment en viticulture, les exploitants et exploitantes agricoles ont le droit, désormais, d’imposer 120 heures de travail (voire 144 dans certains secteurs) en 14 jours, payées au smic, avec seulement vingt minutes de pause par jour. Ceci sans même reconnaître le droit à une prime de précarité (bien méritée) et sans aucune mesure visant à protéger la santé des personnes. Cette situation met directement des vies en danger. Et l’indifférence face à la souffrance des ouvriers et ouvrières agricoles doit donc cesser.

Un contexte climatique qui aggrave la précarité

Le changement climatique exacerbe les risques pour les saisonnier·es, déjà précarisé·es par des conditions de travail et de vie difficiles. L’absence de jour de repos, qui plus est dans un contexte de températures extrêmes, rend chaque journée de travail potentiellement dangereuse. Le gouvernement persiste néanmoins à sacrifier le repos hebdomadaire sur l’autel de la rentabilité.

Nombre de saisonnier·es «professionnel·les» enchaînent les mois de contrats et les récoltes, été comme hiver, sous des températures très élevées ou de fortes intempéries, augmentant les risques pour la santé. Bien trop souvent, leurs conditions de vie sont déjà délétères, qu’ils ou elles soient français ou étrangers. Pour ces derniers, en nombre dans les champs et les vignes, ce sont encore plus d’obstacles pour accéder aux soins et connaître les droits sociaux basiques en France ; la barrière de la langue, la fracture numérique, l’isolement, le racisme se cumulent, accroissent les dangers du travail sans repos, et empêchent la revendication de leur droit à l’intégrité.

D’autres saisonniers et saisonnières «occasionnels» aux profils multiples (jeunes, étudiants, retraités…), astreints à l’intensité et à la productivité du rendement, ne sont pour la plupart pas coutumiers de ces conditions de travail. Ils seront donc, par manque d’habitude, plus vulnérables, surtout dans leurs douze premiers jours de cueillette.

Par ailleurs, il n’est pas non plus possible de faire confiance au «bon sens» de nombre d’employeurs et d’employeuses indifférents au bien-être et aux conditions de vie (voire de survie) de la main-d’œuvre saisonnière, comme l’illustre parfois le défaut d’accès à l’eau potable ou le manque de provision dans certaines exploitations, l’inexistence de logement digne et décent… Ou régulièrement, la réticence à aménager les horaires de travail pour éviter les fortes chaleurs.

Les abus d’application de ce décret sont prévisibles, tandis que la mort au travail est en augmentation. In fine, quelles obligations et responsabilités incomberont aux employeurs·ses et aux organismes en charge de la sécurité des travailleur·euses (inspections du travail, Mutualité sociale agricole), si l’on considère que pourraient être commises des atteintes involontaires à la vie, des atteintes à l’intégrité physique et la mise en danger des personnes en raison des risques causés à autrui, comme le stipule le code pénal ?

Concilier protection et exigences économiques

Il est impératif de garantir des conditions de travail sûres et dignes pour tous et toutes en agriculture. Le repos hebdomadaire est un droit fondamental qui ne doit pas être sacrifié au nom de la productivité. Il est possible de concilier protection des travailleurs et travailleuses et exigences économiques, comme le montrent les initiatives mises en place pour les ouvriers et ouvrières du BTP lors des canicules. Il est urgent d’étendre ces mesures aux domaines agricole et viticole.

Face à cette mise en péril grave et imminente des ouvrier·es agricoles, nous, associations et organisations signataires, appelons à l’abrogation de ce décret et à l’application de mesures en faveur de la sécurité et santé au travail des travailleur·ses agricoles.

Ensemble, nous devons nous mobiliser pour la justice et la dignité de celles et ceux qui nous nourrissent.

Signataires : El Eco Saisonnier Collectif de travailleur·euses agricoles, avec Marie-Lys Bibeyran Défenseuse des droits des travailleur·euses des vignes et autrice Fabienne Goutille Chercheuse intervenante en santé au travail Tifenn Hermelin Documentariste Béatrice Mésini Chercheuse.

Les organisations signataires : Association A4 Accueil en agriculture et artisanat Codetras Collectif de défense des travailleur·euses saisonnier·es étranger·es Colectivo de Saisonnières del 66 Collectif de travailleur·euses des Pyrénées-Orientales Confédération paysanne Syndicat Confédération paysanne Alpes-de-Haute-Provence, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Isère, Confédération paysanne Paca, Derechos sin fronteras Permanence d’accès aux droits à Beaucaire France Libertés Fondation Danielle-Mitterrand, Forum civique européen, Halem, LDH Istres-Ouest-Provence, Médecins du monde délégation Aquitaine, RLGDV, Sud Travail Affaires Sociales Syndicat SUD Agri Tarn Syndicat Syndicat du travail de la terre et de l’environnement 42 Syndicat Union départementale CGT Côtes-d’Armor Syndicat Union syndicale Solidaires…

Cette tribune a été signée par une multitude d’organisations, d’ouvrier·es agricoles, paysan·nes et employeur·ses, professionnel·les de santé, élu·es, enseignant·es et chercheur·es (CNRS, Inrae, AgroParisTech, Cirad, Inserm, Iris, etc.). Liste complète des signataires est ici.

(1) Article L.713-13 du code rural et de la pêche maritime.


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