Mon frère et moi, nous avons subi des violences sexuelles lorsque nous étions enfants. C’était au début des années 1980, en Charente-Maritime, dans un lieu de réinsertion sociale porté par une utopie collective. Nous habitions sur place avec nos parents, qui gardent un souvenir mouvementé de cette période. Ils se cherchaient, et se trouveraient bientôt, pensaient-ils. Pour mon frère et moi, quelque chose s’est perdu. Un prêtre, qui avait rompu avec son diocèse, vivait avec nous dans le hameau, et me gardait souvent lorsque mon grand frère allait à l’école. «Il t’aimait beaucoup», m’a dit ma mère encore récemment.
Ce que je ne savais pas, que je ne pouvais pas savoir à l’époque : c’est qu’il était ce qu’on appelait alors un «pédophile». Il était attiré sexuellement par les adolescents, mais «il se contrôlait», disait-il à mes parents et à l’équipe éducative. Comme s’il existait une étanchéité possible. Mon frère et moi étions donc hors de danger. Nous étions des enfants. Un tout petit enfant d’à peine 3 ans en ce qui me concerne.
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J’ai 43 ans. Et ce passé n’a pas cicatrisé. Nous nous soutenons mutuellement avec mon frère. Mais c’est difficile, à 43 ans, de se prendre son passé en pleine figure. Pour tenir, j’ai besoin de rassembler des faits sur cet homme. Est-ce qu’il existait d’autres victimes ? Et pour quelles raisons avait-il quitté son diocèse ? Ces réponses se trouveraient peut-être dans son «dossier». Ce document, conservé dans le diocèse d’origine de chaque