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TRIBUNE

Violences vicariantes : au pays des droits de l’homme, que fait-on pour les femmes et les enfants ?

Violences conjugalesdossier
Après l’assassinat de Célya, 6 ans, dont le principal suspect est son beau-père, une trentaine d’associations appellent à la constitution d’un gouvernement qui s’engage à lutter contre les violences conjugales par procuration.
Célya, 6 ans, a été retrouvée morte le 12 juillet en Seine-Maritime. Le principal suspect est son beau-père. (Julien de Rosa/AFP)
par Un collectif engagé contre les violences faites aux enfants et les violences conjugales
publié le 19 juillet 2024 à 12h48

Trois drames : deux tentatives de crimes et un meurtre perpétrés sur des enfants mineurs de moins de 15 ans, voici le plus récent et triste bilan des violences vicariantes de ces deux dernières semaines.

En France, pays des droits de l’homme, un enfant est tué tous les cinq jours par l’un de ses parents et une femme est tuée par son conjoint ou ex-conjoint tous les trois jours.

En France, pays des droits de l’homme, 220 000 femmes déclarent chaque année être victime de violences conjugales et 400 000 enfants en sont co-victimes.

Ce ne sont pas des faits divers, mais un fléau de société.

Les violences conjugales doivent intégrer les enfants en qualité de co-victimes car ils sont témoins directs des violences. Ils ressentent, entendent, voient et sont impuissants face aux propos dégradants, insultes, coups subis par la victime.

Mais il existe aussi des cas de violences conjugales, au cours desquelles l’agresseur s’en prend aux enfants pour faire du mal à sa victime. Ces cas de violences dites «vicariantes» relèvent du «contrôle coercitif», deux notions encore trop méconnues en France. Fréquemment, donc, les auteurs de violences conjugales utilisent les enfants pour contrôler, interroger et menacer (explicitement ou implicitement) leur victime. Pour cela, ils mettent en place les mêmes types de comportements violents : psychologiques, physiques et/ou sexuels.

Grâce au travail acharné de chercheurs et de professionnels du droit, le contrôle coercitif (ensemble d’actes délibérés de contrainte utilisé par un partenaire contre l’autre, dans le but de la ou le priver petit à petit de sa liberté d’action) est entré dans notre vocabulaire juridique.

Les mères séparées le savent : les violences conjugales ne cessent pas quand on quitte un conjoint violent. Elles peuvent se manifester de multiples manières : refus de verser une pension alimentaire, modification du droit de visite, défaut de soins, acharnement juridique, privations, violences sexuelles sur les enfants ou, comme l’actualité nous le rappelle trop souvent, assassinats.

Selon les docteurs Andreea Gruev-Vintila et Evan Stark, «le contrôle coercitif… est la cause et le contexte le plus important des violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre».

Alors que fait-on au pays des droits de l’homme pour protéger les mères et leurs enfants ?

Aujourd’hui, notre société considère qu’on peut être un homme violent envers sa conjointe mais être un bon père. Pire, on accuse les mères victimes et protectrices de vouloir rompre le lien entre le père et ses enfants.

N’oublions pas une chose : un parent violent envers l’autre a décidé de manière unilatérale de rompre l’équilibre familial. Il est le seul responsable. Un enfant n’a pas besoin de ses deux parents, un enfant a besoin de stabilité, d’équilibre et de protection. Un enfant a besoin que son parent protecteur soit protégé.

Seule la loi avec des mesures strictes, rapides et dissuasives pourra le permettre.

Aujourd’hui au pays des droits de l’homme, il faut attendre des années pour espérer avoir une réponse pénale dans le cadre de violences conjugales. Les juges aux affaires familiales sont surchargés, les décisions prennent des mois.

Pendant ce temps, les victimes sont à la merci de leurs agresseurs.

Des avancées législatives majeures ont eu lieu ces dernières années avec notamment la loi «Santiago» du 18 mars 2024 qui rend automatique le retrait de l’autorité parentale en cas de crime contre l’autre parent et cela dès le stade des poursuites.

Malheureusement, à peine cette loi tant attendue est publiée que certains juges aux affaires familiales décident de prendre des décisions s’y opposant. De plus, la loi n’empêche aucunement un parent sanctionné de ressaisir le juge aux affaires familiales au bout de six mois.

Au pays des droits de l’homme, pourquoi tant d’obstacles à la protection des mères et des enfants ?

Nous, engagés pour les droits des enfants et de victimes de violences conjugales, nous, victimes de violences intrafamiliales, demandons la constitution d’un gouvernement qui pourra nous protéger, qui saura considérer la réalité des violences conjugales dans notre pays.

Cette tribune a été rédigée par Vigdis Morisse Herrera, présidente d’Opale.care, plateforme de diagnostic et de soutien des victimes de violences conjugales, et Nathalie A. présidente de 3EGALES3, association de lutte contre les violences et la protection de l’enfance.

Signataires : Michaël Delafosse, maire de Montpellier ; Isabelle Santiago, députée socialiste de la 9e circonscription du Val-de-Marne ; Francesca Pasquini, ancienne députée et membre de la délégation aux droits des enfants ; Judith Chemla, actrice et victime de violences conjugales ; Marc Melki, artiste engagé contre les violences conjugales ; Typhaine D, artiste engagée pour les droits des femmes ; Muriel Réus, présidente de l’association Femmes avec… ; Arnaud Gallais, président de Mouv’Enfants ; Florence P, présidente de Protégeons les enfants ; Sarah Barukh, présidente de l’association 125 et après : Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicide ; Clémence, présidente de l’association Justice des familles ; Sonia Blaise, présidente de l’association la Voie. X des femmes ; Sarah Margairaz, présidente de la Collective des mères isolées ; Arnaud Gervais, président de l’association Aspire-Une vie un toit ; Pauline Bourgoin, vice-présidente de WeToo Stop Child Abuse ; Françoise Fericelli, cofondatrice du Collectif Médecins Stop Violences ; Stéphane Carchon-Veyrier, secrétaire général de l’association Mots et Maux de femmes ; Judith Trinquart, secrétaire générale de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

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