Menu
Libération
VOD 

«Welcome Back», non mais «Aloha» quoi ?

Sorti directement sur Netflix France, le dernier film de Cameron Crowe, bide aux Etats-Unis malgré un casting de stars, est une romance à l’histoire foutraque où il vaut mieux laisser tomber les dialogues pour s’attacher aux corps et aux regards.
Emma Stone, Bradley Cooper et Rachel McAdams dans «Welcome Back». (Photo DR)
publié le 23 octobre 2015 à 18h16

Quelle drôle d'histoire que celle d'Aloha (retitré Welcome Back en France), dernier film de Cameron Crowe (Jerry Maguire, Presque célèbre). Une drôle d'histoire, un peu triste aussi, celle d'un bide monstrueux (box-office catastrophique aux Etats-Unis, reproches de whitewashing concernant le personnage d'Emma Stone censée jouer une quarteronne hawaïenne, sortie française en salles annulée in extremis) et de tout un tas de malentendus, à commencer par l'histoire du film même, celle de la fiction : bordélique, irracontable.

On ne s’y risquera donc qu’en partie : Bradley Cooper, ex-soldat héroïque et désillusionné devenu une sorte de mercenaire à la solde d’entreprises de télécommunications privées aux visées louches, débarque à Hawaï pour négocier avec les locaux des parcelles de ciel contre des lopins de terre. Il y retrouve l’amour de jeunesse qu’il a jadis inélégamment délaissée (Rachel McAdams), à présent installée avec son mari (John Krasinski) et leurs deux enfants. Simultanément, il fait la connaissance d’une ravissante pilote de chasse, idéaliste passionnée de cieux étoilés et de légendes insulaires - Emma Stone donc, pétillante comme jamais.

Avant de comprendre, en voyant Emma Stone pleurer sous un chapeau rigolo, qu’il s’agit d’une comédie romantique aux accents lointainement hawksiens, on tente d’abord de se frayer un chemin dans cette diégèse compliquée, au bord du découragement, jusqu’à ce qu’une scène vienne théoriser le problème principal du film : sa compréhension.

Le personnage joué par Krasinski est un taiseux patenté que Bradley Cooper se targue de comprendre comme personne. Lors d'un face-à-face fait uniquement de gestes, d'œillades et d'accolades, des sous-titres viennent compléter leur échange muet. Outre que la scène elle-même est audacieuse par son dispositif et belle par ce qu'ils se «disent» (assurance par l'un qu'il n'est plus une menace conjugale pour l'autre), on se dit alors que, depuis le début, il eût été possible de mettre le tout sur «mute». Et de ne se laisser guider que par les regards et les tensions qui s'installent en silence, par la chaude brise venue faire frémir la frange d'Emma Stone un soir d'orage, ou par la dinguerie d'une danse improvisée par Bill Murray au réveillon. Ce qu'il fallait regarder, c'était les visages et les corps - celui de Bradley Cooper, cassé par la guerre, ne cesse d'être massé, tapoté par les autres dans des moments bizarres. Tout le reste n'est que fracas extérieur inutile, et le son s'avérera d'ailleurs une arme redoutable lors de la résolution de l'intrigue.

Cela vous semble encore trop compliqué ? Attendez alors la dernière scène, miraculeuse et simple, muette bien sûr. Une ado et son père non déclaré se regardent à travers une vitre, et tout se déverse : un secret magnifique dont ils ne parleront jamais, les origines et le futur, des étoiles dans les yeux et des torrents de larmes, toute la cosmogonie hawaïenne amoureusement distillée par le film et qui se lit soudain sur un visage de jeune fille. Welcome Back (Aloha), ou comment un film complètement «what the fuck» peut aussi être complètement bouleversant.