Les images d'Epinal sont épineuses, et souvent trompeuses. On imagine que la vocation d'un écrivain naît quand, enfant, il rédige son journal intime, d'un physicien quand, petiot, il s'amuse avec son Petit Chimiste. Cela peut arriver mais c'est souvent faux. Pour les professions physiques, a fortiori sportives, c'est toujours vrai. On ne devient pas footballeur, gymnaste ou danseur étoile sans avoir tâté, gosse, du terrain vague, de la salle polyvalente, de la MJC ou du centre social. Et, aussi haut que puisse arriver quelqu'un dans l'échelle de sa discipline, personne, ni lui ou elle ni les spectateurs, ne peut occulter son lien avec ses premiers terrains de jeu. C'est ce qui explique tous les reproches possibles faits à peu près partout aux footballeurs. Ils seraient toujours «trop» ou «pas assez», jamais au bon niveau. Et la question ne se pose guère sur d'autres corps de métier, dont la quasi-intégralité des membres ne vient pas de milieux populaires (au hasard, les politiques ?)
Ici, Karim Benzema est pris en photo dans la cour de son ancienne école primaire à Bron, juste à côté de Lyon. A côté de lui, son ami d'enfance Karim Zenati. Les deux hommes sont impliqués dans l'«affaire» de la sextape de Mathieu Valbuena, et l'image accompagnait vendredi un article de Grégory Schneider, du service sports de Libé, sur la figure unique de Benzema, «meilleur joueur français», son indépendance vis-à-vis du milieu du foot hexagonal, son attachement à ses amis… La photographie a été prise pour le quotidien lyonnais le Progrès, par Stéphane Guiochon. Benzema retournait à l'école Jean-Moulin dans le cadre d'une opération promo pour la Fédération française de foot, «Mon Euro 2016». La date compte : le 30 mars, donc bien avant qu'éclate cette «affaire».
L’iconographie du football est assez simple, se réduit à quelques images : les interviews où les joueurs répondent aux questions «logotisées» devant les murs des sponsors, les autres «au volant», depuis leur Porsche. Et puis, surtout, celles grandiloquentes des hommes dans l’arène, en sueur, larmes ou cris de victoire. Tout le reste, le quotidien de gamins jetés dans un monde de fric, les vestiaires, les négociations de fric à leur sujet, tout cela ne nous est jamais donné à voir. Et ne pensons même pas à ces orgies-repos des guerriers dont ils seraient les acteurs. Mais des images comme celle-ci, on en voit non seulement jamais, mais on ne les imagine même pas : un garçon de 27 ans, mignon, habillé comme beaucoup de son âge, qui revient là où tout a peut-être commencé. Au sol, il y a les marques blanches pour jouer au basket et, au fond, des cages de foot et un terrain encerclé par des immeubles tristounets construits par les petits budgets dévolus aux écoles. D’où un décalage entre les millions du compte bancaire de Benzema et cette normalité peu flamboyante.
C'est lui la star dans l'image, celui sur qui notre regard accroche d'emblée. Les écussons de son manteau apportent un peu de couleurs dans l'ensemble grisâtre et rosissant. Mais on l'oublie très vite, l'œil attiré vers le drapeau bleu-blanc-rouge. Le «z» du «Allez les Bleus» peint à gros traits est inversé. Le voilà, le vrai punctum de l'image, cette erreur calligraphique. Puisqu'ils sont absents de l'image, on imagine les écoliers qui ont peint avec joie ce slogan, mus conjointement dans une même affection, une célébration collective. La faute rend encore plus touchant l'élan. Car, ici, ne comptent pas vraiment les ennuis judiciaires du footballeur, mais ce qu'il est vraiment : un corps offert à tous, un réceptacle à rêves de gosses. Et ce n'est ni être procureur ni avocat que de penser que, psychiquement, le poids doit être un peu lourd.