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Intime Albion

A Londres, une expo ressuscite le travail de la pionnière et autodidacte Julia Margaret Cameron.
(Photo National Media Museum, Bradford)
publié le 13 novembre 2015 à 18h56

On ne dira jamais assez à quel point la lassitude peut servir de moteur paradoxal. En 1863, voyant que sa mère s'ennuie alors que s'éloignent tous ses enfants, la fille de Julia Margaret Cameron lui offre un appareil photo. A 48 ans, la Britannique, qui a passé sa vie entre Londres, l'île de Wight et l'Inde coloniale - elle est née à Calcutta -, devient photographe. Ce médium, nouveau pour elle comme pour tout le monde, elle se l'approprie, inventant son propre dispositif, prenant part à la révolution de l'idée même du portrait suscitée par cette nouveauté technique. Les clichés de Julia Margaret Cameron se situent sur la membrane alors très fine qui sépare photographie et peinture. On peut en voir actuellement au Musée d'Orsay (lire Libération du 31 octobre ), et à Londres, au Science Museum, qui célèbre le 200e anniversaire de sa naissance avec l'exposition «Influence and Intimacy».

Dans le musée londonien se décline tout ce qui a fait la force et l'unicité de ce curieux personnage. De par la nature primitive de son art, le travail de Julia Margaret Cameron prend une tournure documentaire. Elle dessine le bestiaire d'une Angleterre impériale, victorienne, brillante. On voit les immenses esprits de son temps, la bande des préraphaëlites (Millais, Rossetti, Burne-Jones), le poète Tennyson, Darwin. Aux femmes, elle réserve ce qui sera ses images les plus connues : des mises en scène, des saynètes où ses nièces, bonnes ou amies deviennent les héroïnes de contes liturgiques, des apparitions d'une mythologie nourrie d'un fond chrétien. A la fin de sa vie, Julia Margaret Cameron s'installe à Ceylan, l'actuel Sri Lanka (photo), où elle meurt en 1879. Elle continue de photographier, mais se plaint de la difficulté de trouver des produits chimiques et de l'eau pure pour développer. Les tirages de ses portraits de populations tamoules sont imparfaits, abîmés, mais en ressort plus encore la force des traits des modèles, la lueur dans les yeux, et surtout l'impression d'être face aux rares témoignages d'un monde complètement englouti.