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Des fards dans la nuit

«Le Club des divorcés» de Kazuo Kamimura dépeint l’intime parcours d’une mère célibataire qui trime dans son bar tokyoïte.
«Le Club des divorcés». (Dessin Kazuo Kamimura. Kana)
publié le 11 décembre 2015 à 17h36

«L'amour se présente toujours comme un ensemble de fautes. S'il est beau malgré tout, c'est certainement parce que les fautes commises par l'homme et la femme sont belles.» Scandé tout au long de la magnifique saga Lorsque nous vivions ensemble, qui scrutait l'interminable dislocation d'un couple en union libre, ce poème pourrait rythmer toute l'œuvre de Kazuo Kamimura tant le Japonais aura passé sa vie à excaver ces passions intoxicantes et à questionner la figure de la jeune femme, de la quête vengeresse Lady Snowblood (à qui Kill Bill doit tant) aux folles passions de Maria.

Le Club des divorcés traite de l'après, de la renaissance individuelle qui se met en branle après l'abandon d'un amour nocif. Kamimura, disparu en 1986 et dont Kana édite patiemment l'œuvre, y trace la trajectoire de Yukô, 25 ans et fraîchement séparée de son mari, qui ouvre à Ginza un bar afin de subvenir aux besoins de sa fille de 3 ans. Un rôle de tenancière qui finit par la consumer, et lui laisse à peine le temps de croiser cette enfant qu'elle a confiée à sa grand-mère. Chaque retrouvaille se fait plus douloureuse à mesure que mère et fille deviennent des étrangères. La nuit, Yukô s'oublie dans le boulot, flirte avec les clients et les console, tout en s'interdisant les joies d'une vie amoureuse.

Dans ce journal intime des créatures nyctalopes de Tokyo, dont il fut lui-même (au point de se représenter en documentariste pochetron et de ponctuer le livre de statistiques sur les divorces ou les suicides de serveuses), Kamimura met en scène un ballet de fragiles silhouettes qui s’attirent, se repoussent et s’abîment. Purgatoire des laissés-pour-compte, le club tire vers l’abstraction à mesure que la soirée avance, la pièce devenant un cube hors du temps et de l’espace, la décoration géométrique recomposant cette chambre d’écho des malaises individuels. Dans cet écrin se déploie la sophistication charnelle du dessin de Kamimura, conjuguée à une frugalité de la ligne, l’auteur atteignant un équilibre de calligraphe entre économie et explosivité du trait. Une fois le matin venu, Yukô retourne cacher ses larmes sous le maquillage.