Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette photographie est à la fois une mise en scène et un autoportrait. L'Anglaise Juno Calypso, 26 ans, avait depuis longtemps la photo d'une salle de bain rose tapissée de miroirs sur son ordi, qui l'a fascinée au point qu'elle a fini par retrouver la provenance du cliché, casser sa tirelire, prendre un vol pour la Pennsylvanie et réserver pour une semaine une chambre dans un honeymoon hotel.
Claquemurée seule, loin de chez elle, dans cet endroit absurde fréquenté par des couples (le proprio serait l'inventeur du jacuzzi en forme de cœur), elle a commencé par se grimer et façonner un avatar choucrouté baptisé Joyce, une naïade à demi-toquée mais sans biographie précise, qui, du lit à la moquette, de la moquette à la baignoire, tourne en rond autour de ses reflets et possibles métamorphoses. «Séduction, solitude, désir, déception» sont, selon la photographe elle-même, les motifs qui l'attirent à travers le kitsch pop de ces alcôves acidulées et vénéneuses où elle écoutait, l'oreille collée au mur, dans l'espoir d'entendre des râles de jouissance, des scènes de ménage, les bruits d'un fait divers. «J'avais l'habitude de prendre des photos de Joyce comme une manière de déconstruction critique des attributs de la féminité, mais désormais je considère que le problème n'est pas le maquillage et les instruments bizarres censés rehausser le physique mais la manière dont la société traite les femmes qui s'investissent aussi intensément dans leur apparence», explique Juno Calypso sur le site Dazed.
Les ongles roses et la main cadavéreuse posée sur le marbre rose telle une grosse araignée en caoutchouc, les robinets installés là comme deux flacons de parfum vides et l'angoissant manque de visibilité de ce qui se cache hors champ et que les miroirs ne montrent pas, plus que toutes les autres de la même série, l'image est à la fois superficielle comme un gag et profonde comme un cauchemar (ou peut-être est-ce l'inverse ?). Le jury du très sélect et avant-gardiste British Journal of Photography a été vivement impressionné par ce travail et a remis son prix annuel à Juno Calypso, choisie parmi 1 500 autres candidats.