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Libération

L’empire des indés

Prenez des grosses prods un peu réchauffées ou farcies au «Metal Gear Solid», accompagnez d’une farandole de créations pétillantes, et vous obtenez un cru 2015 assaisonné.
«Her Story» (Photo DR)
publié le 18 décembre 2015 à 17h16

Au premier regard, rien ne devrait permettre à 2015 de rester dans les mémoires comme une grande année du jeu vidéo. La faute à l'absence d'événement incontournable comme l'arrivée d'une nouvelle console, la sortie d'un nouveau titre signé Rockstar (GTA, Red Dead Redemption, etc.) ou un retour de Mario en version canonique. Pourtant, ce serait injuste. Car en jetant un œil dans le rétro, on ne peut que constater le dynamisme créatif qui a rythmé ces douze derniers mois, avec la production indépendante comme moteur. En face, les superproductions semblent s'appuyer sur une série de normes ludiques qui constituent aujourd'hui un socle qui apparaît presque inamovible. Elles arrivent cependant à éviter (de justesse parfois) l'impression de redite en s'appuyant sur des univers complexes et une qualité graphique inédite. Retour sur une année le pad en main.

Raz de marée Indé

En quelques années seulement, le jeu indé s’est imposé comme un axe de production majeur du jeu vidéo. Le secteur a commencé à frémir en 2007-2008 et a littéralement explosé en 2012 sous l’impulsion conjointe de Steam, plateforme de vente en ligne et de Unity, un moteur de jeu abordable et performant. Le rythme des sorties n’a cessé, depuis, de s’intensifier pour atteindre aujourd’hui plusieurs dizaines de titres par semaine. Du côté des créateurs, c’est à double tranchant, car si l’accès aux canaux de distribution est aujourd’hui assuré, difficile de s’imposer parmi la masse. D’où la crainte d’une «indiepocalypse» qui verrait s’effondrer la scène à cause de l’absence de rentabilité pour la majorité des acteurs. Mais elle n’a pas eu lieu en 2015 et les joueurs, eux, ont été servis, avec quantité de jeux marquants.

On pourrait en citer beaucoup, mais difficile de passer à côté de Hotline Miami 2, suite explosive du ballet meurtrier qui nous avait fascinés en 2012 ; de Big Pharma, mélange entre jeu de gestion et puzzle exploitant à merveille le cynisme capitaliste du secteur pharmaceutique ; de Mini Métro, où la gestion des flux de passagers devient un hypnotique casse-tête ; ou encore de SOMA et de son aventure SF horrifique. Le jeu indé, c'est aussi un retour permanent aux sources pixelisées du jeu vidéo, et dans le domaine, le donjon chorégraphique de Crypt of the Necrodancer et le jeu de rôle introspectif Undertalesont les chefs-d'œuvre de l'année.

Son histoire

Parmi les pépites indé, il faut compter aussi avec Her Story, une production personnelle, puisqu'un seul homme en est à l'origine. Sam Barlow (lire Libération du 30 juillet)y créé une mécanique narrative inédite et envoûtante. Le joueur est face à un moteur de recherche antédiluvien qui permet de naviguer dans les extraits vidéo d'une série d'interrogatoires de la même personne, une jeune femme dont on ne connaît ni l'identité ni l'histoire. Il faut donc reconstituer le fil des événements et comprendre ce qu'il s'est réellement passé lors d'une nuit de juin 1994. Il faut donc rentrer des mots (en anglais) qui nous amènent à de nouvelles vidéos qui ouvrent de nouvelles perspectives. Plus qu'un jeu d'aventure classique, Her Story propose une exploration dans les méandres d'une histoire déstructurée. Quelques heures qui continuent de hanter le joueur une fois le dénouement connu.

Epique tourisme

Popularisé en 2001 par GTA III, le monde ouvert a fini par s'imposer dans la quasi-totalité des productions à gros budget. Et ce n'est pas un hasard. Ce système permet de mettre en scène des univers vastes et complexes en laissant au joueur la possibilité d'en explorer les moindres recoins. Et l'impression de liberté qui en découle est inégalable.

La plus belle utilisation de ces codes revient cette année à The Witcher 3, du studio polonais CD Projekt Red. En proposant d'incarner le sorceleur Geralt de Riv, le jeu transporte le joueur dans un monde de dark fantasy dont il aura du mal à s'extraire avant plusieurs dizaines d'heures.

Plus attendu, Batman Arkham Knight remet en selle la chauve-souris accompagnée cette fois de sa célèbre Batmobile. Et pour l'ambiance fin du monde, on pourra arpenter les étendues désolées de Mad Max et de Fallout 4 qui, chacun à sa manière, revisitent les codes post-apocalyptiques.

Surprise motorisée

Bien loin des superproductions, il a surgi, par surprise, au cœur de l'été : bien que son concept ait déjà été éprouvé en 2008 sur PS3, Rocket League, du studio Psyonix, s'est imposé en quelques jours comme la sensation multijoueurs de la PS4. Le jeu est drôle à jouer autant qu'absurde à expliquer : on fait du football en conduisant une voiture que l'on peut faire bondir et planer avec un turbo. Rien de plus simple, rien de plus compliqué. Facile à apprendre mais impossible à maîtriser, Rocket League, avec ses chorégraphies aussi esthétiques qu'accidentelles, continue de se frayer un chemin dans nos journées, nous laissant croire qu'au prochain match, on va enfin arriver à le marquer, le plus beau but de tous les temps.

Retraite anticipée

N'est-ce qu'un au revoir ? On n'en sait trop rien, mais on sent bien, en jouant à Metal Gear Solid V : The Phantom Pain , qu'il signe la fin de quelque chose. Son créateur, Hideo Kojima, s'y est rendu omniprésent, comme pour narguer l'éditeur, Konami, qui a décidé en début d'année de se séparer de ses services. Nous voici donc à nouveau - une ultime fois peut-être - aux commandes de Big Boss, anciennement Naked Snake, cette fois parachuté en Afghanistan et en Angola. La série des Metal Gear Solid a toujours reposé sur la fuite de ses avatars, qu'ils soient remplacés (MGS 2), mutilés (MGS 3) ou mourants (MGS 4). Mais cette fois, comme pour résoudre des années de frustration, le jeu nous autorise un corps à corps total avec le héros, sans interruptions cinématiques, pendant des dizaines d'heures. Les animations sont d'une précision effarante, le style graphique d'une simplicité et d'un réalisme fascinants. Et puis parfois, alors qu'on parcourt le désert jusqu'à la prochaine mission, avec au loin devant soi des falaises qui se détachent dans la nuit, une douce mélancolie nous envahit. Tout cela va finir un jour, il faut en profiter maintenant.

Le temps de l’étrange

Avec ses cinq épisodes rendus disponibles entre janvier et octobre, Life is Strange, du studio français DontNod, a réussi à marquer l'année de manière assez inattendue. En narrant les aventures de Max, jeune étudiante en photographie dans une petite ville de la côte ouest des Etats-Unis qui se découvre le pouvoir de remonter dans le temps, Life is Strange réussit à aborder avec justesse des thèmes rares dans le jeu vidéo, comme l'amitié, la perte d'un être cher ou la fin de l'adolescence. Tout en retenue, le jeu impose un rythme lent et contemplatif sans jamais provoquer l'ennui. Les choix du joueur servent ainsi plus à imprimer une ambiance qu'à naviguer de manière classique dans une arborescence d'événements déterminés. On finit par s'approprier Life is Strange. Max Caufield, c'est nous.

Le paquet cadeau

Plus que jamais, les jeux de fin d'année forment une catégorie bien à part. Ces rendez-vous, aujourd'hui incontournables pour les joueurs qui s'y sont de fait abonnés, se sont installés avec le temps et semblent inamovibles. Ils sont aujourd'hui au nombre de cinq : les deux jeux de sports, Fifa et NBA 2K, les deux jeux de tirs, Call of Duty et Battlefield, qui, cette fois-ci, a laissé sa place à Star Wars Battlefront (mais c'est presque la même chose), et Assassin's Creed. Ce sont des productions de bonne facture mais qui semblent avoir abandonné toute ambition de surprendre leur public. Ce n'est d'ailleurs pas leur rôle. Ils rappellent que même s'il ne cesse d'explorer par ailleurs de nouveaux territoires créatifs, le jeu vidéo est et restera un loisir de masse.