«Se sentir seul quand on l'est, c'est être mal accompagné.» Voilà une des phrases à tiroir qui font le sel de la série britannique River, diffusée sur la BBC à la rentrée dernière et disponible sur Netflix depuis la fin novembre, et qui suit l'enquête d'un flic quinqua rigide (le livide Suédois Stellan Skarsgard) après la mort de sa coéquipière, assassinée, une nuit, à un carrefour londonien. Fantôme, tragédie et migrants : traversée en trois aspérités de cette série conçue et produite par Abi Morgan, scénariste de The Hour pour la télé (et sur la télé) et de la Dame de fer pour le cinéma.
Dis-moi qui te hante
C'est le point fort, la trouvaille qui donne sa singularité à la série et fait le charme de son démarrage : l'inspecteur River voit des fantômes. Très souvent celui de sa coéquipière assassinée, et quelques fois ceux d'autres disparus. Qui lui parlent, et à qui il répond, au milieu de ses collègues interdits, qui ne comprennent pas ce qui se passe dans sa tête. «J'aimerais que tu te contiennes au moins en public, que nous ayions l'air assez compétents pour conserver notre job», lui demande son nouveau coéquipier, Ira. Les esprits de River ne sont pas effrayants, ils sont juste là, et l'inspecteur imagine ce qu'ils pourraient lui dire. Il n'est pas question de médiumnie, mais de l'extrême solitude d'un homme qui fuit les contacts. Et dont les traits de personnalité peuvent en toute schizophrénie prendre forme grâce à ces défunts. «Il arrive que je parle seule, comme le personnage de River, et je me dis alors que tout le monde doit me trouver folle», expliquait au Guardian Abi Morgan, qui voulait, avec cette série, évoquer ces moments, «dans des commissariats, des hôpitaux, des salles de rédaction ou de marché où des gens font face à des situations émotionnelles qui peuvent les fracasser psychologiquement».
Shakespeare dans le moteur
Les six épisodes de cette première saison (une seconde saison n'est pas encore prévue) sont noyés dans une direction artistique délavée, que ce soit le temps pluvieux cliché de la Grande-Bretagne en novembre ou l'intérieur poussiéreux de l'inspecteur. Des ambiances agréables à visionner. Une autre tarte à la crème certainement barbante pour les Britanniques est bienvenue de ce côté-ci de la Manche : la série s'appuie régulièrement sur les mannes de Shakespeare pour habiller son intrigue psy. Et il y a de quoi faire avec son corpus : après tout Juliette se fait passer pour morte, Hamlet se demande s'il vaudrait mieux ne pas être («Comme c'est dur de juste exister», entend-on un moment) et Richard III combat les fantômes de ses victimes. River pioche dans ces œuvres et prend aussi plaisir à faire se dérouler certaines scènes dans le nouveau théâtre du Globe, reconstruit sur le Bankside de Londres, en 1997, à l'identique de celui du dramaturge élizabéthain, qui brûla au début du XVIIe.
Des migrants très mobiles ?
Il y a la jungle de Calais, le Channel infranchissable et, vu du continent, ce qui s'apparente à du mépris de la part des Britanniques pour les migrants. Mais nous sommes ici à l'intérieur de l'Angleterre, et les sans-papiers qui s'y trouvent font finalement l'affaire de pas mal de margoulins. Ces fantômes des sociétés occidentales ont un statut légal qui peut se monnayer et donner lieu à des affaires de corruption, financièrement salées et humainement sales. Mais ce n'est pas un migrant ni un fantôme qui a assassiné la mystérieuse Jackie, à la vie privée cadenassée comme un deuxième téléphone portable.