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Exemplaires originaux

Anthony Lycett présente à Paris ses portraits de caméléons, laissant les tenues révéler leur extravagance.

Jonny Woo de jour (à gauche) et de nuit (à droite). (Photos Anthony Lycett )
Publié le 22/01/2016 à 17h51

Le soir du vernissage, une faune extravagante et colorée admirait des portraits en diptyque d'individus non moins bigarrés. Sur les murs de la galerie Isabelle Gounod, dans le IIIe arrondissement de Paris, une sélection parmi les 200 portraits d'excentriques parisiens et londoniens - performers, artistes, créatures de la mode - immortalisés, en tenue diurne et nocturne, par le Britannique Anthony Lycett. En retrait, discret, le photographe arborait ce soir-là, sur son costume sombre et rayé, une luxuriante broche en hommage à ses modèles.

Jenkin Van (jour et nuit). Photos Anthony Lycett

«Paons». «Contrairement à moi qui aime rester dans l'ombre, je m'interroge sur ce qu'essayent de dire ceux qui s'habillent différemment. Les personnalités sur les photos sont les véritables stars de l'exposition, nous explique Anthony Lycett, quelques jours plus tard par téléphone. Mes modèles veulent être respectés et acceptés pour ce qu'ils sont. Il y a trop souvent des a priori négatifs sur ceux qui sont singuliers. Je ne comprends pas pourquoi ce n'est plus célébré. On a aujourd'hui plus peur de quelqu'un habillé d'une façon originale que d'une personne armée.» Habitué des séries de mode pour le magazine Flux - un petit frère indépendant des The Face, Dazed & Confused ou I-D, désormais visibles en ligne -, il a pendant longtemps cherché des personnes au look bizarre avec une amie styliste. Dès 2008, il a souhaité célébrer ces gens aux vêtements atypiques, rencontrés au fil de son travail de photographe de mode. «C'est comme un arbre généalogique qui aurait commencé avec des amis d'amis puis est devenu une communauté.» Il ne va jamais danser dans les clubs et n'a pas casté ses modèles dans les lieux punk, mais grâce à des recommandations ou aux réseaux sociaux. Il a écarté les purs oiseaux de nuit pour ne garder que ceux qui faisaient de leur travestissement un véritable mode de vie. Pourtant, Anthony Lycett a bien constaté que la nuit était désinhibante, même pour ses modèles qui, selon ses termes, mutent en véritables «paons».

Devant son objectif, il les laisse s'exprimer. Il enregistre leurs mimiques pour retenir le vrai, dans une approche classique du portrait. Certains sont calmes, d'autres surjouent. Il leur demande juste d'apporter deux tenues. «Le vêtement prend le dessus, c'est étonnant. Si l'on est timide, on prend de l'assurance avec un vêtement. Moi-même, je suis plus à l'aise avec un costume.»

Dame Zandra Rhodes (jour et nuit). Photos Anthony Lycett

Avatars. Il a puisé ses originaux à Londres et à Paris et constaté une vraie différence entre les deux capitales. «A Paris, cela a été plus difficile de trouver des modèles. Comme dans le Londres des années 70, les gens sont plus cachés. Ils sortent pendant la Fashion Week. Il y a aussi plus d'agressivité.» Il mentionne également David Bowie, œuvre d'art à lui tout seul, dont les avatars, la musique et le mode de vie ont bien sûr influencé les générations suivantes. Légèrement anthropologue, Anthony Lycett a entrepris ce catalogue comme une quête de lui-même : «C'est vrai que j'ai peur d'être oublié depuis qu'on a diagnostiqué la maladie d'Alzheimer à ma mère. Je ne sais pas trop qui je suis, c'est une des raisons pour lesquelles j'ai entamé ce projet. J'aime beaucoup l'idée du dandysme, mais je ne suis pas sûr que cela me ressemble. Je vous le dirai quand j'aurai fini, si je trouve la réponse.»