«On se les gèle ici», semble penser François Hollande alors qu'il rentre dans la chambre froide d'un glacier de Carcassonne, la Fabrique du Sud. S'il est évident qu'il ne doit pas faire très chaud là-dedans, il l'est aussi que cette photographie signée Pascal Pavani pour l'AFP a une vertu d'illustration. Lundi, Libé consacrait ses pages «Evénement» aux annonces du président pour l'emploi, et ressortait cette photographie prise le 19 mai. Il est bien un talent que personne ne peut enlever au président : c'est sa faculté à la contorsion, limite yogi. Si on regarde précisément la posture présidentielle, on voit qu'elle n'est pas très droite et que Hollande a le cou penché et qu'il relève péniblement la tête pour essayer de regarder en haut. Le mouvement de ses bras laisse penser qu'il cherche l'équilibre, à moins qu'il ne soit saisi en plein pas de danse, ce qui est peu probable. Il est craintif, comme s'il s'attendait à s'en prendre une dans la gueule. Voire même à recevoir une de ces «escadrilles» de merde qu'aimait évoquer Jacques Chirac. Il ne porte pas de lunettes, ce qui, par rapport à notre image quotidienne de lui, rend ses yeux vides, hagards et paumés. Le pire, dans ce visage tristounet, ce front aux traits levés, c'est que tout donne l'impression que Hollande pense qu'il mérite toutes les critiques dont il est souvent l'objet.
Les photographies d'hommes ou femmes politiques dans des contextes ou décors surprenants ont d'intéressants qu'elles font souvent saillir en quoi la personnalité a du pouvoir. Ainsi, dans cette chambre réfrigérée, commune, pas très neuve si on en croit les nuances de gris au sol ou aux murs, François Hollande est clairement le président de la République. Il a beau avoir l'humeur maussade, le costume noir est absolument impeccable, la cravate bleu nuit est quasi-droite et l'insigne de la Légion d'honneur visible. On pourrait évidemment (et facilement) s'amuser à voir dans le geste de Hollande qui traverse l'obstacle du rideau une sorte de métaphore des aléas de sa présidence. Mais il faut aussi, et surtout, remarquer toutes ces mains qui poussent les pans plastifiés en s'agitant comme celles de jazzmen, ces doigts qui, comme ceux de la Chose dans la Famille Addams, sont dissociés de corps. Ils révèlent l'armée qui sert les chefs de nos républiques, en resucée du protocole des cours monarchiques. Cela nous paraît si naturel, si évident, que l'homme politique soit aidé dans ses mouvements. Cette image, en un sens absolument parfaite, est aussi le signe de l'exercice «normal» et moins prétentieux de François Hollande de la fonction présidentielle. Il n'attend pas, comme Louis XIV planté devant une porte, qu'un huissier la lui ouvre. Il pousse le rideau. Mais se fait quand même aider, par habitus, par les mains des «sujets».
Il n’y a pas seulement Hollande et sa traversée du rideau aidé par des individus en combis blanches dans cette image. Au-dessus de la tête présidentielle, on voit quelqu’un d’autre, également habillé en costume-cravate. Il s’agit de Christophe Pierrel, jeune pousse de l’appareil hollandais, chef de cabinet adjoint du Président et tête de liste du PS dans les Hautes-Alpes aux dernières élections régionales. Le plus frappant n’est pas la présence d’un conseiller, mais ses yeux perçants. Est-ce, de la part du jeune socialiste, une manière de scruter le photographe qui s’apprête à prendre une image qui risquerait d’être embarrassante ou bien un regard protecteur-couveur sur le Président ? Qui sait ? En tous cas, ce regard, traversé par une ambition, personnelle et collective, semble lui aussi inquiet, non pas que Hollande gèle sur place, mais que la gauche de gouvernement reste bloquée pour longtemps dans la chambre froide.