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Kazuo Umezu, horreur sur la personne

Dans son dernier recueil, «le Vœu maudit», le maître japonais explore nos angoisses face aux créatures, surnaturelles ou non, et difficilement identifiables.
Illustration extraite du récit «le Vieillard» (1985). (Dessin KAZUO UMEZU.SHOGAKUKAN)
publié le 26 février 2016 à 18h21

Grand-guignol, trash ou drame enfantin, peu importe le genre, tant que le monstre est beau. Tel pourrait être le mantra de Kazuo Umezu, figure tutélaire du kowai manga, la BD japonaise d’horreur dont il a fixé nombre de codes. Référence indépassable pour plusieurs générations d’auteurs de l’archipel, le vieux maître, qui a brillé dans ce genre comme dans la comédie scato, avec son écolier star Makoto-chan, n’a eu le droit qu’à des traductions au compte-gouttes en France, chaque sortie de son œuvre profuse y devenant précieuse.

Après avoir sorti un premier recueil de ses nouvelles au printemps dernier (lire Libération du 13 mai), les éditions Lézard noir réitèrent l'exercice avec le Vœu maudit, qui constitue une déclaration d'amour pour les monstres. Si certains des sept récits qui composent le livre ne sont que des variations autour des figures classiques du croque-mitaine ou du fantôme, d'autres remuent une matière plus profonde, remontant à la définition biologique du terme de «monstre» : des créatures anormales qui se distinguent par une singularité, une anomalie, à laquelle elles sont résumées.

Ainsi, dans un récit de 1985 intitulé «le Vieillard», Kazuo Umezu questionne avec brio la notion de monstruosité et les failles qu’elle dissimule. Un jeune garçon à coupe au bol, Manabu, est confronté à une silhouette qui implore son aide pour l’extirper du trou dans lequel elle est prise au piège. Umezu donne à voir la cavité comme une tombe, cadre serré et en plongée, semblant offrir le gamin en sacrifice à une menace venue du sous-sol. Terrorisé, le petit se défend en barricadant l’ouverture et se montre de plus en plus cruel avec son captif, ridé et voûté. Il le roue de coups, devient le geôlier, le monstre, et sa proie n’est qu’un vieillard au visage parcheminé.

Comme toujours chez Umezu, ce sont les yeux qu’il faut regarder. Ce sont eux qui dévorent les pages. S’ils hurlent le plus souvent l’angoisse et l’impuissance, ils trahissent aussi des instants de fragilité, où les masques s’ébrèchent et laissent entrevoir des monstres qu’on voudrait presque cajoler. Le regard de Manabu est celui d’un garçon accablé, prêt à se noyer dans un mélange de tristesse et d’envie. L’explication de ce chaos intérieur vient sur le tard, quand on découvre que dans le monde de Manabu, l’espérance de vie ne dépasse pas les 20 ans. A ses yeux, le vieillard est bien un monstre, une aberration qui défie l’ordre des choses, mais il y voit aussi un fait exceptionnel et précieux.

A son zénith auprès de ces créatures, Kazuo Umezu est lui-même devenu une sorte de monstre de foire. Amuseur public, il ne se présente plus qu’affublé d’un uniforme rouge et blanc et a poussé le vice jusqu’à repeindre sa maison-musée façon «où est Charlie ?» (un code couleur qu’on retrouve au dos du bouquin de Lézard noir). Et, bientôt octogénaire, il n’hésite pas à donner de sa personne pour monter sur scène, danser et grimacer afin d’amuser une horde de gamins, devenant ainsi une sorte de mutant entre Casimir et Tezuka.