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Libération
Chronique «Regarder voir»

Manœuvres de chantier

Photos extraites du «Libé» du 24 février. (Photos Laurent Troude)
Publié le 26/02/2016 à 18h21

A quoi pensent les chargés de com des politiques quand ils invitent leurs supérieurs à se transformer en Dupondt et à s’habiller selon les us et coutumes du biotope où leur calendrier les envoie ? Cette semaine, on a beaucoup commenté les images de François Hollande enroulé de colliers de fleurs de tiaré à Wallis-et-Futuna.

Ça se passait à l'autre bout du monde, le Président suivait la coutume locale, tout allait bien. Mais ces deux photographies prises lundi par Laurent Troude à Chalampé (Haut-Rhin), près de Mulhouse, posent une question plus délicate quant au sens de l'à-propos des stratèges médiatiques du gouvernement. Manuel Valls, Emmanuel Macron et Myriam El Khomri ont visité l'usine chimique Solvay, au moment où toute la France s'écharpe sur le projet de réforme du code du travail. Le trio s'est donc paré de ce qui est nécessaire dans le cadre d'une usine : un casque de chantier et des lunettes antiprojection. Pourquoi pas ? Sauf que, comme le souligne Laurent Troude, «c'était clairement et uniquement une opération de com. Ils n'ont passé que quelques minutes sur la plateforme, n'ont pas vraiment visité l'usine».

Ces images signent donc l'inutilité. Le malaise se lit d'ailleurs dans les yeux du Premier ministre et de la ministre du Travail. On sent à leur regard qu'ils trouvent que tout cela a quelque chose de grotesque, qu'eux-mêmes savent que ce n'est pas le propos, que le moment est mal venu, que l'image sera «too much». Macron a également été portraituré ainsi par Laurent Troude, mais le service photo de Libé a choisi Valls et El Khomri, les deux étant rapprochés par le feu du moment, le ministre de l'Economie ne portant pas le projet de loi.

Ils sont cadrés de très près. Depuis quelque temps, Troude travaille ainsi au téléobjectif pour «serrer» de près les personnalités politiques pendant les reportages : «Une manière de contourner le plan de communication, d'aller chercher ce qu'ils ont de plus humain, leurs expressions, leur psychologie…» Mais la particularité de l'animal politique tient au fait que, même isolé du contexte, celui-ci déborde, coule au milieu de l'image. On reconnaît le col de la chemise, le maquillage bien appliqué, le regard perçant habitué aux foules et assemblées, tous les signes de pouvoir.

Ainsi, les deux personnes qui apparaissent ici semblent vivre dans une bulle de plexiglas blanc ou transparent, déconnectées de tout, protégées des effets des réformes qu’elles s’apprêtent à mettre en place. Car il y a aussi le contexte immédiat : l’usine. Laurent Troude précise que celle-ci ne s’est pas arrêtée le temps de la visite. Le bruit des machines était si fort que les trois politiques portaient des petits casques audio, qui se devinent sur leurs oreilles ministérielles. Comme s’ils étaient en visite guidée dans ce musée poussiéreux qu’est le réel.