Péter, éructer, se rouler dans le vomi, uriner dans le caniveau : la vulgarité comme cahier des charges ne suffit a priori pas à justifier une œuvre, aussi débridée soit-elle. Quoique ? En repoussant les limites tolérées par la télévision, Broad City, modeste websérie bricolée, radiographiait en 2009 les déconvenues de deux copines sous forme de sketchs. La série s'est depuis imposée aux Etats-Unis sur la chaîne Comedy Central comme un point de vue rédempteur sur la condition féminine.
Pour le néophyte, le titre de la série évoque d’abord New York, ville ouverte célébrant l’amitié féminine entre deux volutes de joint. L’expression désigne surtout pour ses auteures le désenchantement qui attend les nouveaux venus tentant benoîtement leur chance dans un Manhattan on ne peut plus gentrifié.
La première, Abbi, est bonne à tout faire dans un club de gym guindé où elle rêve de dispenser des cours. Son acolyte, Ilana, procrastine dans une start-up où elle fait la sieste barricadée aux toilettes. Les New-Yorkaises biturées réactivent ensemble la figure traditionnellement masculine du slacker («glandeur»), avec une liberté de ton délivrée du formatage de leur homologue, la série 2 Broke Girls. Cette comédie du déclassement est le miroir déformant de Sex & the City, dépositaire de l'arrogante opulence des 90's. La précarité et l'absence de reconnaissance sociale dont souffre la génération moins favorisée des vingtenaires dans les années 2000 sont ici adoucies par les excès de ces stoners euphoriques.
Idoles au franc-parler, anciennes de l'excellente formation d'impro Upright Citizens Brigade, les vieilles amies trentenaires Ilana Glazer et Abbi Jacobson produisent, écrivent et interprètent ces souvenirs de jeunesse. L'une est délurée, l'autre introvertie, l'une dessine quand l'autre se met dans des situations impossibles. Leur projet a séduit Amy Poehler (Parks and Recreation), qui les produit depuis : dans la fiction, commente-t-elle, «les femmes doivent toujours rouler des yeux pendant que les hommes font n'importe quoi. On ne voulait pas de ça. Les jeunes femmes aussi peuvent être paumées».
Broad City, qui a redémarré ce mois-ci en fanfare avec une narration étoffée et moins anecdotique, s'épanouit dans une vision de plus en plus progressiste, sans doute en réponse aux critiques à l'encontre de la série Girls (HBO), pauvre en diversité. Le rythme, comme sa direction artistique bicéphale, progresse mi-indolent mi-survolté. Ce début de saison prend la forme d'un récit picaresque mâtiné de slapstick : il y est question de perdre ses clés, de se faire enfermer dans des chiottes publiques, de se retrouver accrochée à l'arrière d'un camion. Un travail corporel sur l'idiotie qui ne semble pas prêt de conjurer leurs élans régressifs.